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APPENDICE. — No VII.

laissé de côté le mot khila, qu’un des manuscrits du Lalita vistara lit kchila ; M. Foucaux traduisant d’après le tibétain, donne malice, sens qui irait fort bien ici ; mais je ne connais à khila que la signification de vide : au reste ceci ne compromet en rien le sens général. On voit très-bien ce que c’est que la perfection de la patience ; le commentaire du Lalita vistara peut même nous conduire jusqu’à y reconnaître l’humilité. Et pour ne laisser aucun doute sur la place de cette vertu, l’expression de maturité parfaite qui l’accompagne, comme elle accompagne toutes les autres pâramitâs, nous apprend qu’il s’agit encore là d’une vertu portée à son comble par un être qui sera un jour un Buddha.

La quatrième perfection est la vîrya pâramitâ, ou « la perfection de l’énergie, » où de l’effort. Le Lalita vistara détermine ainsi le résultat auquel elle aboutit : Sarvahkuçalamûla dharmârag̃gôttâraṇâya kuçîdasattva paripâtcha­natâyâi sam̃vartatê. « Elle conduit à la maturité parfaite d’un être indolent, à [lui] faire traverser ce qui n’est pas le théâtre de tous les devoirs et de toutes les racines de vertu. » Ceci, je l’avoue, n’est pas clair, et dharmârag̃ga a probablement un sens spécial que je n’ai pas saisi. La version tibétaine a fourni à M. Foucaux une traduction beaucoup plus nette, et qui va mieux à la nature de la vertu dont il est question ici : « L’application qui s’emparant de toutes les semences languissantes de vertu, conduit à une maturité parfaite les êtres indolents[1]. » Malheureusement je ne puis retrouver cette interprétation dans le texte sanscrit Au lieu de dharmârag̃ga faut-il lire dharmâraṇya, et se représenter le texte comme donnant l’image d’un être énergique traversant les déserts, les landes stériles, vides de tout mérite et de toute racine de vertu ? L’image serait sans doute un peu forte, mais elle rentrerait assez dans le goût du style chargé des grands Sûtras. Malgré ce qui reste encore d’obscur sur ce point, ou voit clairement comment doit être entendue « la perfection de l’énergie : » c’est l’effort qui cultive les germes de vertu que la pratique du devoir a déposés au sein d’un être doué de moralité. C’est là encore une vertu appartenante au passé d’un Buddha.

La cinquième perfection est la dhyâna pâramitâ, ou « la perfection de la contemplation. » Le Lalita vistara marque ainsi le but de cette vertu transcendante : Sarvadjñânâbhidjñôtpadâya vikchiptatchitta sattva paripâtcha­natâyâi samvartatê. « Elle conduit à la maturité parfaite d’un être dont l’esprit est inattentif, à produire en lui toutes les sciences et les connaissances surnaturelles. » Il n’y a ici matière à aucun doute : l’efficacité supérieure de la contemplation était aussi généralement reconnue chez les Buddhistes que chez les ascètes brâhmaniques, et la croyance aux effets miraculeux d’une méditation intense était le patrimoine commun de toutes les sectes indiennes. Il faut sans doute admettre que par abhidjñâ on doit entendre ces facultés surnaturelles, origine de connaissances qui ne le sont pas moins, qui ont été indiquées plus haut et dont j’ai traité dans une note spéciale[2]. Cette perfection appartient, comme les précédentes, au passé d’un Buddha, puisque les connaissances surnaturelles peuvent être possédées par un Çrâvaka ou auditeur exercé.

La sixième perfection est la pradjñâ pâramitâ, ou « la perfection de la sagesse. » Le Lalita vistara exprime en ces termes le résultat de cette vertu transcendante : Avidyâ môha tamô ’ndhakârôpâlambha drĭchṭi prahâṇâya duchpradjñasattva paripâtchanatâyâi sam̃vartatê. « Elle

  1. Rgya tch’er rol pa, t.  II, p. 45.
  2. chap. 1, f. 1 et 52 b, et Appendice, no XIV.