Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
547
APPENDICE. — No VII

humain, ne se crée pas spontanément pendant cette vie ; il a été éprouvé par des siècles de lutte, et préparé durant de nombreuses existences au rôle élevé que son titre exprime. En un mot, il a transmigré pendant bien des âges, et dans le cours de ses transmigrations il a pratiqué les vertus transcendantes qui sont pour lui comme la consécration de sa future destinée. Or s’il a poussé l’aumône jusqu’à ses dernières limites, s’il a donné tout ce qui lui appartient et sa personne même, il a acquis des droits à devenir un Buddha. Voilà ce que veut dire le Lalita vistara ; mais il le dit en termes figurés et presque mythologiques, quand, après avoir montré que la perfection de l’aumône mûrit un être égoïste, c’est-à-dire lui enlève jusqu’au dernier sentiment de l’égoïsme le plus légitime, le texte ajoute que cette vertu contribue à parachever en sa personne la possession des signes de beauté, des caractères secondaires de perfection et d’une terre de Buddha. C’est dire, d’une autre manière, que la perfection de l’aumône conduit celui qui la possède à devenir un jour un Buddha, puisqu’un Buddha seul a pour attributs extérieurs les signes de beauté, les caractères secondaires, et une terre de Buddha, c’est-à-dire un monde où il exerce son ministère libérateur. En résumé, la perfection de l’aumône est, pour un Buddha, une des vertus de son passé ; il y est parvenu avant d’arriver à ce titre même de Buddha qui est le plus élevé de tous ceux qu’il porte.

La seconde perfection est la çîla pâramitâ, ou « la perfection de la vertu, » de la moralité, des bonnes mœurs, de la bonne conduite ; car le terme de çîla, chez les Buddhistes, embrasse un grand nombre d’idées qu’on peut résumer sous les noms de vertu ou de moralité. Le Lalita vistara exprime ainsi le résultat auquel aboutit la possession de cette vertu : « Sarvâkchaṇâpâya samatikramâya duḥçîlasattva paripâtchanatâyâi sam̃vartatê. « Elle conduit à la maturité parfaite d’un être vicieux, à lui faire franchir les régions ténébreuses et les existences misérables. » Le mot akchaṇa, « ce qui ne vient pas à son moment, » n’est pas ici suffisamment précis. On peut l’entendre de ces catastrophes inopinées qui interrompent soudainement l’existence de l’homme, comme la mort violente, les supplices, etc. On y peut voir aussi une désignation abrégée de ces régions ténébreuses qui sont situées dans l’intervalle des mondes, et sur lesquelles je reviendrai dans une note spéciale de cet Appendice[1]. Quant au mot apâya, on sait qu’il désigne les quatre états d’existence, embrassant les peines réservées après cette vie aux hommes vicieux, savoir, l’existence dans l’Enfer, l’existence dans un corps d’animal, la condition de Prêta et celle d’Asura. Au reste, après ce que je viens de dire de « la perfection de l’aumône, » celle de la vertu ne présente aucune difficulté : c’est encore un mérite qui appartient au passé de celui qui doit être un jour un Buddha. Qu’un homme atteigne à la perfection de la moralité, alors exempt de tout vice, il échappera aux châtiments qui attendent après cette vie l’homme pervers.

La troisième perfection est la kchânti pâramitâ, ou « la perfection de la patience. » Voici, selon le Lalita vistara, le résultat auquel elle aboutit : Sarvavyâpâda khila dôcha mâna mada darpa prâhâṇâya vyâpannatchitta sattva paripâtchanatâyâi sam̃vartatê. « Elle conduit à la maturité parfaite d’un être dont l’esprit est vicié par la méchanceté, à détruire en lui toute espèce de méchanceté, de désir de nuire, d’orgueil, d’enivrement, d’arrogance. » J’ai

  1. Ci-dessous, no XVI, Sur les ténèbres des Lôkântarikas.