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APPENDICE. — No IV.

passe pour avoir vécu avant Nâgârdjuna. Si, comme on l’admet généralement, Nâgârdjuna est postérieur d’un peu plus de quatre siècles à Çâkyamuni, nous devrons chercher Mañdjuçrî vers le commencement du ie siècle avant notre ère, et nous ne serons plus surpris de le voir cité dans Fa hian et le Trikâṇḍa çêcha. Restera la date de 968 après Jésus-Christ, qui n’est pas plus aisée à comprendre que celle de 887 avant. Mais ici se présenteront deux solutions possibles : ou le Mañdjuçrî de la fin du xe siècle sera un autre personnage que Mañdjuçrî le philosophe et le Bôdhisattva antérieur à Nâgârdjuna ; ou abusant du système facile des incarnations, la tradition népâlaise aura fait du personnage religieux et militaire du xe siècle la personnification d’un sage connu déjà et vénéré depuis plusieurs siècles. C’est à une connaissance plus étendue des textes qu’il appartiendra de déterminer ce qu’il peut y avoir de fondé dans ces hypothèses. Quant à présent il nous est déjà possible d’affirmer qu’on a chargé Mañdjuçrî de deux rôles inconciliables, celui de chef de la colonie d’origine mongole qui a formé anciennement le fonds premier de la population du Népâl, et celui d’instituteur religieux et de fondateur du culte d’Adibuddha.

No IV.
SUR LE MOT DHÂTU.
(Ci-dessus, chap. i, f. 7 a, p. 315.)

J’ai dit plus haut, après avoir expliqué le terme de lôkadhâtu, qu’il fallait distinguer ce mot d’un autre composé dhâtulôka, sur lequel j’ai promis de revenir. Je trouve, en effet, ce composé de dhâtulôka dans un passage du Djina alam̃kâra, où il est employé pour désigner l’ensemble de tous les objets que l’on nomme dhâtus. Le mot dhâtulôka signifie donc, « le monde des Dhâtus ou éléments, » dans un sens analogue à celui dans lequel on emploie certaines expressions philosophiques comme « le monde de l’intelligence, le « monde de la sensation. » Le lecteur ne sera peut-être pas fâché de voir ce que le Djina alam̃kâra entend par « le monde des Dhâtus ; » il y reconnaîtra une théorie qui s’accorde complètement, et en des points fort remarquables, avec une partie importante de la métaphysique des Buddhistes du Nord, sur laquelle je suis entré ailleurs dans quelques éclaircissements[1].

L’énumération que donne le Djina alam̃kâra des parties composant le monde des Dhâtus, commence par celle des dix-huit Dhâtus ou éléments, qui ne sont autres que les six organes des sens, les six qualités sensibles, et les six perceptions ou connaissances qui en résultent. Les voici tels que les énumère le texte pâli : Tchakkhu dhâtu, rûpa dhâtu, tchakkhu viññâṇa dhâtu ; sôta dhâtu, sadda dhâtu, sôta viññâṇa dhâtu ; ghâṇa dhâtu, gandha dhâtu, ghâṇa viññâṇa dhâtu ; djihvâ dhâtu, rasa dhâtu, djihvâ viññâṇa dhâtu ; kâya dhâtu, pôṭṭhabba dhâtu, kâya viññâṇa dhâtu ; manô dhâtu, dhamma dhâtu, manô viññâṇa dhâtu. « L’élément dit de la vue, celui de la forme, celui de la notion acquise par la vue ; l’élément dit de

  1. Introd. à l’hist. du Budd. ind. t. I, p. 634.