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APPENDICE. — N° III.

Si le récit de Ma touan lin est fondé, et l’exactitude connue de cet annaliste est une présomption en sa faveur, il sert à expliquer d’une manière satisfaisante ces deux opinions des Népâlais, que Mañdjuçrî était étranger au Népâl, et qu’il avait quitté la Chine pour venir s’établir dans le nord de l’Inde. En effet Mañdjuçrî, Indien d’origine selon les Chinois, n’avait fait à la Chine qu’un séjour dont on ne fixe pas la durée, et il était retourné de là dans l’Occident. La circonstance qu’il était fils de roi, rapportée par Ma touan lin, serait très-heureusement confirmée par le titre de Kumâra, « prince royal, » qu’on lui donne non-seulement dans les grands Sûtras des Népâlais, mais aussi dans le recueil lexicographique sanscrit connu sous le titre de Trikâṇḍa çêcha. Il faudrait, en outre, s’assurer positivement si c’est bien en 968 que les Chinois font régner dans l’Inde le roi qu’on dit père de Mañdjuçrî ; car cette date s’accorde assez avec celle du xe ou xie siècle de notre ère, époque à laquelle Wilson place la rédaction du Trikâṇḍa çêcha, où Mañdjuçrî est déjà nommé[1]. Mais elle diffère considérablement de celle que Csoma a trouvée dans la table chronologique des événements les plus intéressants du Buddhisme, d’après les Tibétains ; Mañdjuçrî y est placé l’an 837 avant notre ère ! En supposant même qu’on doive ramener cette table au comput des Buddhistes du Sud, en abaissant l’époque de la mort de Çâkya de huit cent quatre-vingt-deux à cinq cent quarante-trois ans avant Jésus-Christ, on ne trouverait encore, pour l’époque de la naissance de Mañdjuçrî, que l’an 498 avant Jésus-Christ ; résultat qui contredit toutes les vraisemblances, et qui infirme grandement à mes yeux l’autorité de la table tibétaine. Cette date de 968 est de plus en contradiction formelle avec une autre date fournie par les Chinois eux-mêmes, et dont je dois la connaissance à une communication de M. Stanislas Julien. Elle est donnée par la chronologie chinoise nommée Fo tsou thong ki, d’après laquelle Mañdjuçrî parut deux cent cinquante ans après le Nirvâṇa du Buddha. Si nous adoptons le comput singhalais, l’an 250 après la mort de Çâkyamuni répondra à l’an 293 avant notre ère.

Le voyage de Fa hian nous fournit encore une objection très-considérable contre la date de 968 qu’on attribue à Mañdjuçrî. Si ce religieux est le fils d’un roi qui n’a régné que vers la fin du Xe siècle, comment se fait-il que Fa hian ait trouvé dans l’Inde, au IVe siècle de notre ère, des preuves publiques du respect dont la mémoire de Mañdjuçrî était l’objet[2]. Comment ce nom de Mañdjuçrî était-il déjà devenu celui de savants Brâhmanes, si toutefois Klaproth a traduit ici exactement le texte du Foe koue ki[3] ? Comment ensuite comprendre que les Népâlais puissent attribuer à un personnage aussi moderne le dessèchement de leur vallée, quand on les voit placer au Ve siècle de notre ère l’arrivée de Padmapâni, qu’ils font de beaucoup postérieur à Mañdjuçrî[4] ? Je ne regarderais pas comme une difficulté insurmontable la présence du nom de Mañdjuçrî dans les grands Sûtras, tels que le Lotus de la bonne loi, qui sont de toute évidence bien antérieurs au Xe siècle de notre ère ; car on pourrait toujours supposer que ce nom de Mañdjuçrî a été introduit après coup dans des livres antérieurs à ce personnage. Mais le témoignage positif de Fa hian reste comme

  1. Sanskrit Diction. préface, p. xxvii, 1re éd.
  2. Foe koue ki, p. 101 ; Introd. à l’hist. du Buddh. indien, t. I, p. 113.
  3. Foe koue ki, p. 254 et 260.
  4. Hodgson, Classification of the Newars, dans Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. III, p. 221.