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APPENDICE. — N° III.

supérieur le lac deviendrait un séjour de délices pour ceux qui pourraient un jour s’y établir, ainsi que pour les pèlerins et pour ceux qui le traverseraient. Cela dit, Çikhin se précipita dans les eaux du lac de Nâgavâsa, et saisissant la tige du lotus, il fut absorbé dans l’essence de Svayambhû. Viçvabhû fut le troisième Buddha qui, dans le Trêtâyuga, vint de l’Inde centrale reconnaître le lac Nâgavâsa ; sa visite eut lieu longtemps après celle de Cikhin, et comme son prédécesseur, il amenait avec lui de l’Inde une foule nombreuse de disciples, de Religieux, de Râdjas et de cultivateurs. Ayant répété les louanges de Dyôtîrûpa Svayambhû, il fit cette prédiction : « Dans ce lac sera produite Pradjñâsurûpà Guhyêçvari[1] ; c’est un Bôdhisattva qui la fera sortir du sein des eaux, et le pays se remplira de villages, de villes, de lieux sacrés et d’habitants de diverses tribus. » Le Bôdhisattva ainsi annoncé est Mañdjuçri, dont la pairie, qui est reportée bien loin dans le Nord, est nommée Pañtchaçircha parvata, montagne située, d’après le commentateur du Svayambhû, dans le Mahâtchîna dêça. Un jour, dans le même Yuga, et immédiatement après l’arrivée du Buddha Viçvabbû à Nâgavâsa, Mandjuçrî découvrit, par le moyen de sa science divine, que Djyôtirûpa Svayambhû avait apparu au centre d’un lotus croissant dans le lac. Ayant reconnu que s’il visitait ce lieu sacré, son nom Pañtchaçircha parvata serait à jamais célèbre dans le monde, il rassembla ses disciples, les habitants du pays et un roi nommé Dharmakâra, et prenant la forme du dieu Viçvakarman, il partit avec ses deux Devis ou reines pour le long voyage de Pantchaçircha parvata à Nâgavâsa. Arrivé près du lac, il se mit à en faire le tour, invoquant l’appui de Svayambhû. Au second tour, ayant atteint le centre de la chaîne de montagnes qui est au sud, il reconnut que c’était là le point d’où les eaux du lac pouvaient le plus facilement s’écouler. Aussitôt il fendit la montagne d’un coup de son cimeterre ; les eaux s’échappèrent par l’ouverture qu’il avait faite, et le fond du lac fut mis à sec. Il descendit de la montagne, et parcourut la vallée dans toutes les directions. Arrivé auprès de Guhyêçvarî, il vit l’eau qui sortait de terre en bouillonnant avec violence, et il se dévoua avec un zèle pieux à la tâche de l’arrêter. À peine eut-il commencé que l’ébullition cessa graduellement ; il put ainsi élever au-dessus de la source une construction de pierres et de briques qu’il nomma Satyagiri. Cet ouvrage achevé, Mañdjuçrî chercha un endroit où il pût résider, et à cet effet il fit paraître une petite montagne à laquelle il donna le nom de Mañdjuçri parvata. Il assigna ensuite à la vallée desséchée le nom de Nêpâla, nê signifiant « celui qui conduit au ciel, » c’est-à-dire Svayambhû ; et pâla, « protecteur, » pour dire que le génie protecteur de la vallée était Svayambhû, c’est-à-dire Âdibuddha ; telle est l’origine du nom de Nêpâla. Et comme un grand nombre d’émigrants étaient venus avec lui du mont Çîrcha ou de la Chine, il bâtit, pour servir de résidence au roi Dharmakâra et à sa suite, une grande ville nommée Mañdjupattana, à moitié chemin entre le mont Svayambhû et Guhyêçvarî.

Il est facile de reconnaître dans cette tradition un syncrétisme assez grossier résultant d’éléments hétérogènes pris à des sources très-diverses. Le Brâhmanisme des Purâṇas y a fourni le nom de Svayambhû et la donnée d’un être existant par lui-même, supérieur à tous les autres personnages de la légende, même aux grands Buddhas du passé, tels que

  1. Ne faudrait-il pas plutôt lire Prajñâsvarûpâ, « dont la propre forme est la sagesse ? »