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APPENDICE. — No III.

lequel on est exempt de passion. » Le Vîtarâga de Mañdjunâtha est un Tchâurî ou un chasse-mouche fait avec la queue d’un Yak, symbole tout à fait himâlayen[1]. Il est vrai que par une inconséquence qu’a signalée M. Wilson, mais qui n’est pas encore expliquée, le Vîtarâga ou symbole de Mandjudêva, comme on appelle en cet endroit Mañdjuçrî, n’est plus un Tchâurî, mais ce que le texte nomme Garttêça, « le seigneur de la cavité[2]. » Un texte ou moins obscur, ou plus correct que celui que M. Wilson a eu entre les mains, donnerait peut-être le moyen de concilier ces deux énoncés discordants d’un même ouvrage. Quant à présent, il me suffit de constater le fait, que Mañdjuçrî est, et par son titre de Bôdhisattva, et par l’attribution qu’on lui fait d’un Vitarâga, placé exactement sur la même ligne que les autres Bôdhisattvas fabuleux qu’on dit issus de Buddhas qui ne le sont pas moins. C’est ce qu’indique positivement le petit traité sur les divinités népâlaises dont je parlais tout à l’heure, lorsqu’à la stance 4 il cite Mañdjunâtha (autre nom de Mañdjuçrî), en compagnie d’autres Bôdhisattvas plus ou moins imaginaires, comme Mâitrêya, Vadjrapâṇi, Avalôkiteçvara, et qu’il le désigne ainsi, « le grand chef Mandjunâtha[3]. »

À cette qualité de fils de l’un des Buddhas surhumains, la mythologie népâlaise en a joint une autre qui est également caractéristique ; c’est celle d’architecte de l’univers et des nombreux étages dont le monde se compose. Mañdjuçrî est donc, quant à la partie matérielle de l’univers, un véritable Démiurge ; et à ce point de vue M. Hodgson a eu parfaitement raison de le comparer au Viçvakarman ou à l’architecte céleste de la mythologie purânique[4]. En même temps, et comme par un souvenir de son rôle humain, il passe pour l’auteur des soixante-quatre Vidyâs ou sciences technologiques.

Les renseignements qu’ajoutent à ce qui précède les traités népâlais traduits par MM. Wilson et Hodgson, et surtout les notes instructives que Wilson y a jointes d’après les communications de Hodgson, dirigent nos recherches d’un autre côté, et en leur assignant un objet plus positif, leur assurent un plus haut degré d’intérêt. Suivant un de ces traités, Mandjuçrî paraît au Népâl avec le même caractère qu’Avalôkitêçvara au Tibet. « Dans le royaume que protége la fortune de Mañdjuçrî, » dit ce texte, faisant de Mañdjuçrî le saint tutélaire du Népâl[5]. Deux stances du Pantchavim̃çatikâ nous donnent le moyen d’expliquer la place élevée qu’occupe Mandjuçrî chez les Népâlais. Je reproduis ici ces stances d’après la version qu’en a publiée M. Wilson, pour mettre le lecteur en mesure de vérifier par lui-même la justesse des remarques qu’elles ont suggérées à ce savant. Voici d’abord la stance onzième : « Puisse Garttêça, la forme répandant tous les biens, qu’a prise Mandjudêva pour une portion de lui-même, afin d’éveiller l’ignorant, le paresseux et le sensuel Mañdjugartta, et d’en faire en le convertissant un sage savant et profond, vous être propice[6] ! » Voici maintenant la stance vingt-quatrième : « Puisse Mañdjunâtha, qui

  1. Notice of three Tracts, dans Asiat. Res. t. XVI, p. 460, note 8, et p. 462, note 18.
  2. Notice, etc. st.11, p. 462 ; Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. XII, ire part.  p. 404.
  3. Notice, etc. dans Asiat. Res. t. XVI, p. 473, Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. XII, ire part.  p. 401.
  4. Transact. of the roy. asiat. Soc. of Great Britain, t. II, p. 234.
  5. Notice, etc. dans As. Res. t. XVI, p. 473.
  6. Ibid. dans As. Res. t. XVI, p. 462, st.11, note 19,