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CHAPITRE XIII.

pusse consulter, celui de la Société asiatique, qui donne âtmabhâvân, « les corps, » au pluriel ; mais les deux nouveaux manuscrits de M. Hodgson ont au singulier âtmabhâvam, et la comparaison de la stance 60 avec la stance 61 prouve qu’il s’agit du sage qui se voit lui-même en songe occupé à expliquer la loi. Il faut donc maintenant traduire d’après ces manuscrits : « il se voit lui-même assis sur un trône. » Au reste, de ce que je rends ici âtmabhâva par « lui-même, » il n’en faudrait pas conclure que les Buddhistes n’emploient ce mot que dans cette acception restreinte. Chez ceux du Nord âtmabhâva, comme attabhâva chez ceux du Sud, signifie également « le corps. » Le mot se présente avec ce sens dans un très-grand nombre de passages du Lotus : il me suffira donc d’en alléguer ici un exemple concluant pris à un autre livre : Yat tasyâivam̃rûpa âtmabhâvaḥ syât tad yathâpinâma sumêruḥ parvatarâdjaḥ. « Que s’il avait un corps tel, à savoir comme le Sumêru, roi des montagnes[1]. » Quant aux Buddhistes du Sud, il suffirait du témoignage de l’Abhidhâna ppadîpikâ, qui compte attabhâva parmi les synonymes de sarîra, « corps[2]. » C’est dans ce sens que Mahânâma parle de la dernière existence de Çâkyamuni, avant qu’il vînt au monde comme fils du roi Çuddhôdana : vêssantaraitabhâvê ṭhitô, « quand il était dans le corps de Vêssantara[3]. » On sait en effet que Vêssantara est, chez les Buddhistes de Ceylan, le nom d’un personnage sous la figure duquel l’âme de Çâkyamuni parut au monde. Sous ce nom, qui répond au sanscrit Vâiçyântara et qui fait allusion à la caste des Vâiçyas dont il sortait, l’être privilégié qui devait être plus tard un Buddha remplit d’une manière héroïque les devoirs de l’aumône en abandonnant comme offrande religieuse ses trésors, sa femme et ses enfants[4]. Quant à ce qui regarde le mot âtmabhâva et attabhâva, objet principal de cette note, on le rencontre fréquemment avec cette acception même de corps, dans les légendes publiées par Spiegel[5].

  1. Vadjratchtchhêdika, f. 23 a.
  2. Abhidhâna ppadîpikâ, l. I, chap.  ii, sect. 5, st.7 ; Clough. p. 17.
  3. Mahâvamsatîkâ, f. 24b.
  4. Clough, Singhalese Diction. t. II, p. 673 et 674. On trouve une analyse succincte de cette légende qui jouit à Ceylan d’une grande célébrité, dans un petit opuscule intitulé The miniature of Buddhism, p. 4 et 5, qui parut à Londres en 1833, et qui avait pour but de décrire un temple buddhique transporté de Ceylan à Londres par quelques Buddhistes de cette île. Les Singhalais qui avaient conçu l’idée de cette spéculation, étaient possesseurs d’un assez grand nombre de manuscrits qu’ils mirent en vente ; je fus assez heureux pour en obtenir un petit nombre, mais à des prix singulièrement élevés. Ces manuscrits font la base de ma collection buddhique singhalaise. Le Vêssantaradjâtaka ne se trouve pas parmi ces ouvrages ; mais la Bibliothèque nationale en possède un exemplaire en pâli avec une traduction barmane.
  5. Anecdota pâlica, p. 19, 24, 62 et 72.