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CHAPITRE V.

f. 75 a.Doués des cinq connaissances surnaturelles.] J’ai dit plus haut, chap. 1, f. 1, p. 291, qu’à l’idée de connaissance il fallait ajouter celle de pouvoir et de faculté ; il n’en faut pas moins, en traduisant abhidjñâ, conserver le mot de connaissance ; car ces facultés supérieures ne sont pas seulement le résultat d’une science éminente, elles sont encore par elles-mêmes des moyens surnaturels de connaître des choses qui restent cachées au commun des hommes. On en trouvera l’énumération à l’Appendice sous le no XIV.

f. 76 a.Où l’on entre par cinq voies.] Nous avons ici un exemple de l’indécision des copistes en ce qui touche les voies de l’existence, dont les uns comptent cinq et les autres six, comme je le montrais tout à l’heure sur le f. 73 a, p. 377. Le manuscrit de la Société asiatique a ici cinq, et les deux nouveaux manuscrits de M. Hodgson ont six.

f. 76 b.Une patience miraculeuse dans la loi.] L’expression dont se sert le texte est anutpattikîn dharmakchântim. Quand j’ai traduit le Lotus, je n’avais aucun moyen d’arriver à une précision plus grande pour l’interprétation de cette expression difficile. J’hésitais même entre cette version et celle-ci : « une patience spontanée dans la loi, une patience qui n’a pas sa naissance, dont on ne voit pas l’origine. » Aujourd’hui l’examen de l’espèce de glose dont le Lalita vistara fait suivre cette locution, me permet d’approcher plus près du sens véritable. Selon le Lalita vistara, la patience dite anutpattika dharma kchânti est une des portes de la loi, dont voici le résultat : vyâkaraṇapratilambhâja sam̃vartatê, « elle conduit à obtenir une prédiction[1]. » C’est également ce qu’y voit l’interprète tibétain, d’après M. Foucaux[2] ; mais quand il traduit le nom de cette patience même par « la soumission à la loi non encore produite, » il ne nous dit rien de bien clair. Voici comment je m’imagine que cette formule doit être entendue. La prédiction dont il s’agit ici est, selon toute apparence, l’annonce faite à un homme qu’il naîtra un jour dans une condition déterminée d’après la nature des actions dont il est actuellement l’auteur. Avec la signification si étendue que possède le mot dharma, il n’y a rien de surprenant à voir nommer ainsi la condition ou l’état quelconque qui fait le sujet de la prédiction. Le terme de dharma ne désigne donc pas ici la loi du Buddha, mais une condition, un état, que l’on annonce pour l’avenir à un être auquel on parle. Si c’est dans l’avenir que doit avoir lieu cet état, c’est qu’il n’existe pas encore, qu’il n’est pas encore né ; et voilà pourquoi le Lalita vistara, faisant rapporter anutpattika à dharma, désigne une condition qui n’est pas encore produite. La définition de ce livre signifie donc littéralement, « la patience des conditions non encore nées conduit à obtenir une prédiction ; » en d’autres termes, celui qui est inébranlable aux craintes comme aux espérances de l’avenir, obtient de s’entendre annoncer dans quelle situation il devra revenir un jour à l’existence. C’est pour l’avenir, ce qu’est pour le présent, la vertu si recommandée chez les Buddhistes, la patience.

Si l’on fait l’application de cette analyse au texte du Lotus même, on reconnaîtra que le sens qui en résulte s’applique parfaitement à l’ensemble du passage et aux Bôdhisattvas qui y sont décrits. Il est bien vrai que dans l’expression même du Lotus, citée au com-

  1. Lalita vistara, f. 23 b de mon man. A.
  2. Rgya tch’er rol pa, t. II, p. 46.