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NOTES.

des noms souvent très-bizarres. Le Lotus de la bonne loi et le Lalita vistara fournissent des preuves suffisamment nombreuses de cet usage ; il y a même un livre intitulé Samâdhirâdja, « le roi des méditations, » qui est rempli des noms donnés aux méditations d’un Buddha. Mais ce qui est plus important à remarquer pour la connaissance de la doctrine philosophique, c’est le sens propre du mot samâdhi. Ce terme signifie « l’état de l’esprit qui se contient lui-même, » idée que ne rend qu’imparfaitement notre mot de méditation, où il reste encore trop de la notion d’une activité appliquée à quelque chose qui est distinct d’elle. C’est un point qui sera mis hors de doute quand nous examinerons les quatre degrés du dhyâna ou de la contemplation, dont le samâdhi, ou la possession de l’intelligence qui se renferme en elle-même, est un des éléments fondamentaux. Avec ces explications, notre mot méditation peut être employé sans trop d’inconvénient, surtout au pluriel. Il est bien clair que l’on ne peut méditer, si l’on n’a pas la possession pleine et entière de son intelligence.

Reste le dernier terme, « l’acquisition de l’indifférence, » qui a plus besoin encore d’une explication spéciale. Pour quiconque verrait réunis les deux mots samâdhi samâpatti, le premier sens qui se présenterait serait, si je ne me trompe, celui de « l’acquisition de la méditation. » C’est, à ce qu’il semble, au moins d’après Turnour et Clough, l’interprétation qu’ont adoptée les Buddhistes du Sud. Ainsi Turnour expliquant le mot samâpatti dans l’index de son Mahâwanso, en donne cette définition : « l’état de jouissance de l’abstraction dite samâdhi ou la sanctification[1] ; » d’où il résulte que samâpatti est subordonné à samâdhi, de cette manière, « l’acquisition de la méditation. » Clough en fait autant, quoiqu’il étende le mot d’acquisition à d’autres termes qu’à la méditation. Ainsi, quand il énumère les perfections d’un Religieux accompli, il les place dans cet ordre : djhâna, « la méditation profonde ; » vimôkha, « l’affranchissement de la passion ; » samâdhi, « la tranquillité « parfaite ; » samâpatti, « les résultats ou la jouissance des perfections supérieures[2]. »

L’accord de Turnour et de Clough sur la valeur du mot samâpatti, et sur la place qu’il doit occuper dans l’énumération qu’on donne des perfections intellectuelles du sage, prouve donc que les Buddhistes singhalais n’en font pas un terme à part, mais au contraire le subordonnent aux termes précédents. Toutefois nous ne pouvons rien affirmer définitivement sur ce point, tant que nous ne serons pas plus avancés dans la connaissance de ces livres ; car un passage de Buddhaghôsa traduit par Turnour lui-même donnerait à croire que le mot de samâpatti exprime à lui seul une qualité ou un mérite intellectuel dont, on fait honneur à un Buddha. Ainsi parlant de Çâkyamuni devenu Buddha, le passage en question ajoute : « il resta là assis pendant sept jours, réalisant d’innombrables samâpattis par cent mille et par dix millions[3]. » Si l’on peut compter les samâpattis, c’est que les samâpattis sont quelque chose d’individuel, qui existe par soi-même ; car il est bon de remarquer qu’ici il n’est plus question de samâdhi. Les Buddhistes tibétains s’en font cette idée, puisqu’ils traduisent samâpatti par sñoms-par hdjug-pa, « l’action d’ar-

  1. Turnour, Mahâwanso, index, p. 22 ; le mot sanctification n’est pas suffisamment philosophique.
  2. Clough, The ritual of the Buddhist priesthood, p. 19, dans Miscell. transl. from orient. lang. t. II, no 4.
  3. Turnour, Examin. of Pâli Buddhist. Annals, dans Journ. asial. Soc. of Bengal, t. VII, p. 814.