Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
318
NOTES.

celui de Londres s’accordent à lire nirîhakâm̃ pour nirîhakân, à la place de nirîhakâ du manuscrit de la Société asiatique. Il faut donc détacher cet attribut du suivant, et traduire, « je vois des hommes indifférents connaissant les lois. » Quant à l’expression suivante, parvenus à l’unité, j’avoue que c’était uniquement par conjecture que je traduisais ainsi le texte qui donne dvayapravrĭttam̃ pour pravrĭttân, avec le seul sens possible de « livrés à la dualité, occupés de la dualité. » Tous les manuscrits sont unanimes quant à cette leçon. Mais la version tibétaine, en traduisant ainsi ce terme difficile, gñis-med rab jugs, « parfaitement entrés dans l’indivisible, ou dans l’indubitable, » me semblait partir d’un texte où pravrĭttân serait précédé d’une négation, comme dvayapravrĭttân, « ne s’occupant pas de la dualité. » C’est d’après cette supposition que j’avais traduit ; mais aujourd’hui je doute plus que jamais de l’exactitude de cette version. Ne se pourrait-il pas en effet que le mot dvaya, « réunion de deux êtres, couple, » fût une allusion à l’exposition binaire que les Buddhistes font des lois, lorsque voulant prouver qu’elles n’existent pas substantiellement, ils nient à la fois de chacune d’elles le positif et le négatif, de cette manière : « les lois ne sont ni créées ni incréées. » Dans ces expositions singulières dont nous avons quelques exemples dans notre Lotus même[1], les caractères qu’on veut refuser aux lois, ou conditions, ou êtres, sont rapprochés deux à deux, et forment des dvaya ou des couples, dont la connaissance passe pour être du domaine de la plus haute sagesse. Or ce sont les fils du Buddha, partis à l’aide de la pradjnâ pour l’état suprême de Bôdhi, que la stance 42 nous représente dvayapravrĭttâ, c’est-à-dire occupés à considérer les attributs binaires des lois, ainsi qu’on pourrait traduire cette expression en la commentant. Notre stance offre encore une autre difficulté que font naître et en même temps qu’aident à résoudre les deux manuscrits de M. Hodgson. D’abord j’avouerai que tous nos manuscrits sont unanimes pour lire khagatulya, que j’ai traduit, « semblables à l’étendue du ciel, » ou si l’on veut, de l’espace, m’appuyant ici sur la version tibétaine, et par analogie sur la signification de vent, air que Wilson donne à khaga. Mais ne serait-il pas permis de conjecturer que le texte a pu primitivement porter khaḍga ? On traduirait alors, « semblables au rhinocéros, » c’est-à-dire amis comme lui de la solitude. Ce nom de khadga n’est d’ailleurs pas inconnu aux Buddhistes, puisqu’un lexicographe indien qui passe pour avoir partagé leurs opinions, donne les mots khaḍga, « rhinocéros, » et ékatçhârin, « solitaire, » parmi les synonymes du titre de Pratyêkabuddha[2], et que les Chinois désignent une classe de ces Pratyêkabuddhas par l’épithète de khaḍgavichâṇakalpa, « semblables à la corne du rhinocéros[3]. « La première version serait une similitude destinée à exprimer l’immensité de leur science, la seconde marquerait leurs habitudes solitaires. Enfin le point où les manuscrits de M. Hodgson diffèrent de celui de la Société asiatique, porte sur le dernier mot de la stance qu’ils lisent mâdrĭçân, « semblables à moi, » au lieu de sadrĭçân, « semblables, » qui faisait double emploi avec tulya, déjà joint à khaga. En résumé voici la nouvelle version qu’il faudrait donner de la stance 42 : » Je vois des hommes indifférents, connaissant les lois, occupés à en considérer le double caractère,

  1. Ci-dessous, chap.  v, fol. 77 a.
  2. Trikâṇḍa çêcha, chap. i, sect. i, st.13.
  3. A. Rémusat, Foe koue ki, p. 165.