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NOTES.

peut, jusqu’à preuve du contraire, admettre que çâîkcha signifie « étudiant, disciple, « et açâikcha, « celui qui n’est pas disciple, » très-probablement « qui est maître ». Mais il manque encore à cette interprétation toute la précision désirable, et la citation du nom d’Ânanda prouve qu’il ne faut pas entendre seulement ici un disciple ordinaire, mais une personne qui a déjà fait des progrès dans la science, sans être cependant arrivée au terme. L’Abhidhâna ppadîpikâ tranche nettement la question, en faisant de Sêkha un titre synonyme de Sôta âpanna, le premier degré des quatre grades au sommet desquels est l’Arhat[1] et d’Asêkkha, le synonyme d’Arhat[2]. On remarquera que cette définition du Sêkha cadre assez bien avec celle du Vocabulaire de Hêmatchandra, où le Çâikcha est défini prâthamakalpika, « celui qui est au premier degré. » Si donc notre Lotus était un texte de l’École méridionale, il faudrait l’entendre ainsi : « dont les uns étaient au premier degré, et les autres arrivés au terme de la perfection. »

Cette interprétation des deux termes pâlis Sêkha et Asékkha, que j’emprunte au meilleur recueil lexicographique de Ceylan qui nous soit connu, est confirmée par un texte capital du Mahâvam̃sa, texte qui a ici d’autant plus d’importance qu’il se rapporte aux débuts d’Ânanda lui-même comme interprète de la loi. Lorsqu’après la mort de Çâkyamuni, ses premiers disciples se réunirent sous la conduite de Kâçyapa pour recueillir ses paroles et fixer sa doctrine, Ânanda n’était pas encore parvenu à l’état d’Arhat. Les Religieux qui ne voulaient pas se priver de son concours, parce qu’en sa qualité de cousin de Çâkya, il l’avait toujours suivi avec un dévouement absolu, qu’il avait été son premier serviteur, aggapatthâka, comme l’avait dit Bhagavat lui-même[3], et qu’il avait assisté à toutes ses prédications, l’avertirent qu’il eût à faire tous ses efforts pour acquérir les mérites supérieurs d’un Arhat. Or voici en quels termes le Mahâvam̃sa exprime et l’avertissement et le résultat qu’il eut pour Ânanda :

Svê sannipâtô ananda sêkhêna gamanam̃ tahim̃
na yuttantê sadatthê tvam appamattô tatô bhava
itchtchêvam̃ tchôditô thêrô katvâna viriyam̃ samam̃
iriyâpathatô muttam arahattam apâpuṇi.

Voici la traduction que donne Turnour de ce passage ; j’ai souligné les mots qui méritent un examen particulier : « Ânanda, demain a lieu la réunion ; comme tu es encore sous l’empire des passions humaines, ta présence à l’Assemblée n’est pas convenable ; fais donc sans relâche les efforts nécessaires pour acquérir les perfections requises. Le Théra, ainsi excité, ayant fait une exertion suffisante de son énergie, et s’étant affranchi de l’empire des passions humaines, parvint à la sainteté d’un Arhat[4]. » Turnour, en traduisant sêkhêna par « comme tu es encore sous l’empire des passions humaines, » en donne plutôt une glose qu’une traduction littérale. Le sens général y est sans doute reproduit ; mais puisque l’on conserve le mot Arhat dans la suite du passage, parce que ce mot est un titre qu’on ne saurait expliquer que par une longue phrase, il n’y aurait aucun inconvénient à conserver aussi celui de Sêkha, et à dire, « parce que tu es (encore) Sêkha, »

  1. Abhidhân. ppadîp. l. II, c. v, st. 28, éd. Clough.
  2. Ibid. l. I, c. I, sect. 1, st. 9.
  3. Mahâpadhâna, dans Dîgh. nik. f. 67 b.
  4. Turnour, Mahâwanso, c. iii, p. 12 et 13.