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CHAPITRE PREMIER.

pensé que par bhava sam̃yôdjana il fallait entendre « ce qui concourt, ce qui sert à l’existence mortelle de l’homme, » de sorte que je penchais vers cette traduction : « qui avaient épuisé complètement les éléments composants de l’existence. » La version tibétaine paraissait en effet donner exactement cette interprétation : srid-par kun-tu suyôr-ba yongs-su-zad-pa. Mais en comparant le texte du Mahâparinibbâna sutta en pâli avec la traduction qu’en a donnée Turnour, j’ai reconnu qu’il traduisait les mots parikkhiṇa bhava sam̃yôdjana par une phrase qui paraît empruntée à un commentaire : « ayant surmonté tout désir de régénération par la transmigration[1]. » La version littérale que je proposais n’est pas fort éloignée de celle de Turnour ; cependant les mots « ce qui concourt à l’existence, » donnent une idée inexacte du terme de sam̃yôdjana, qui, selon Turnour, exprime ce désir par lequel l’homme, convaincu de la nécessité de la transmigration, s’unit, c’est-à-dire s’attache par la pensée à une existence future qu’il espère meilleure que celle qu’il va quitter. Cette expression difficile de bhava sam̃yôdjana est certainement du même ordre que celle de djîvita sam̃skâra, dont je me suis occupé ailleurs[2]. Il est évident pour moi, aujourd’hui, que djîvita sam̃skâra signifie « la conception de la vie, c’est-à-dire « l’idée de la vie, » sam̃skâra étant pris ici dans son sens philosophique de concept[3]. Le Mahâparinibbâna sutta vient ici encore à notre secours. Quand Çâkyamuni se décide à quitter le monde avec la pensée de ne plus renaître, sa résolution est exprimée dans le texte par cette expression technique âyusam̃kâram ôssadjdji, ce que Turnour traduit ainsi : « il renonce à toute connexion avec cette existence transitoire[4]. » Le composé pâli âyusam̃khâram est le synonyme exact du sanscrit djîvita sam̃skâra ; ces deux mots signifient l’un et l’autre « l’idée de la vie, une idée de vie, » traduction certainement plus fidèle que celle de Turnour, « toute connexion avec l’existence, » laquelle conviendrait mieux pour sam̃yôdjana, que nous examinions au commencement de cette note. Nous reverrons plus bas le composé de bhava sam̃khâra, employé avec la même signification, dans une stance citée à l’Appendice no XXI.

Des [cinq] connaissances surnaturelles.] J’ai traduit suivant la leçon du manuscrit de Londres abhidjñâbhidjñâta, en attribuant au terme spécial d’abhidjñâ le sens qu’il a dans toutes les écoles buddhiques. Mais les deux manuscrits de M. Hodgson lisent abhidjñâtâbhidjñâtâiḥ, leçon qui me ramène à celle du manuscrit de la Société asiatique, abhidjñânâbhidjñânâiḥ. En admettant cette leçon, il faudra traduire « ayant la connaissance évidente des notions évidentes. » C’est ce sens que donne à peu près la version tibétaine, d’où j’infère qu’elle a été exécutée d’après un texte où on lisait abhidjñâna et non abhidjñâ. Mais si l’on établissait qu’abhidjnâna n’est qu’un synonyme d’âbhidjnâ, on devrait garder la traduction que j’ai adoptée. Au reste, pour comprendre dans son entier le abhidjñâ, « connaissance, » il faut ajouter à l’idée de connaissance celle de pouvoir et de faculté. Les cinq abhidjñâs sont

  1. Turnour, Examin. of pâli Baddhist. annals, dans Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. VII, p. 698.
  2. Introduction à l’histoire du Buddhisme indien t. 1, p. 79, note 2.
  3. Introd. à l’hist. du Buddh. t. I, p. 503 et suiv.
  4. Mahâparinibbâna sutta, dans Dîgh. nik. f. 88 b. Turnour, Examin. of pâli Buddhist. annals, dans Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. VII, p. 1001 et 1002.