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CHAPITRE PREMIER.

vasîbhâvappattô, en parlant des dix forces dont il dispose en maître, on ne veut pas dire qu’il soit parvenu à l’état de sujétion, mais au contraire on entend exprimer le plus haut degré de sa puissance[1]. De même encore, parmi les mérites attribués par les Buddhistes du Sud aux Disciples accomplis, on trouve l’expression tchêtôvasippattâ, « ceux qui ont obtenu l’empire sur leur esprit, ou sur leurs pensées[2]. « J’avoue cependant que ce terme, où ne reparaît plus le verbe bhû, fait penser à un substantif abstrait, tel que vaçî, auquel il faudrait nécessairement donner le sens de « domination, empire. » Mais ce mot est emprunté à un manuscrit très-incorrect, surtout par omission, et il n’est pas certain qu’on ne doive pas lire tchêtovasibhâvappattâ, ou même tchétôvasihkâvappattâ. L’épithète de vâçibhâta est attribuée au Buddha Çâkyamuni par le Lalita vistara[3].

Sachant tout.] Trois manuscrits lisent le mot que je traduis ainsi, राजनेयै : ou राजन्मयै ; leçons entre lesquelles il n’est pas facile de décider, parce que dans l’écriture sanscrite du Népâl, la voyelle é n’est d’ordinaire que très-faiblement marquée. Mais le manuscrit de la Société asiatique lit seul राजन्येयै, en reportant le r des autres copies à la fin du mot précédent सुविमुत्कप्रज्ञै. Si l’on admet cette dernière leçon, il ne doit plus être question ici d’un dérivé du mot râdjan, « roi, » comme pourrait être râdjanya ou râdjanêya, ainsi qu’on serait tenté de le supposer d’après nos trois autres manuscrits. Ce qui démontre l’exactitude de la leçon donnée par le Saddharma de la Société asiatique, c’est qu’on trouve dans une énumération des titres religieux et philosophiques d’un Buddha, le mot même qui nous occupe en ce moment, accompagné d’une autre qualité qui sera indiquée dans la note suivante. Voici ce passage : Adjânêyatchitta ityutchyatê mahânâga ityutchyatê[4]. Le Lalita vistara de la Société asiatique lit le mot en question âyânêyatchitta, leçon qui est certainement fautive. Il résulte toujours de la comparaison de ce passage avec le terme obscur du Saddharma, que c’est âdjanêyâiḥ, ou mieux âdjânêyâiḥ qu’il faut lire. — À s’en tenir au Dictionnaire de Wilson, on devrait traduire ce mot par « cheval de bonne race, » sens qui est justifié par cette stance de l’Açvatantra, citée dans le Trésor de Râdhâkânt Dêb :

शम्किभिर्भिन्नहदया: स्खलन्तो ऽ पि पदे पदे ।आजानन्ति यत: सँज्ञामाजानेयास्तत: स्मृता: ॥

« Parce que les chevaux, quoique tombant à chaque pas, le cœur déchiré par les lances, reconnaissent encore leur nom, on les appelle âdjânêya[5]. » Ce distique nous montre cependant que ce n’est pas du radical djan, « engendrer, » comme semblerait l’indiquer le sens de « cheval de bonne race, » qu’il faut tirer le dérivé âdjânêya, mais bien de djñâ, « connaître. » Cette circonstance m’a décidé en faveur du sens que j’ai choisi. Je m’y suis trouvé encore confirmé par la version tibétaine qui traduit l’adjectif âdjânêya par tchang-ches-pa, « sachant ou comprenant tout. » L’idée de totalité est probablement exprimée par la préposition â qui ouvre le mot. Ce terme se trouve également en pâli, où il est écrit âdjañña; il figure dans une des épithètes d’un Buddha, celle de purisâdjanna, laquelle

  1. Voyez ci-dessous ce terme cité dans la note sur le fol. 16 a, st. 67.
  2. Djina alam̃kâra, f. 24 b de mon man.
  3. Lalita vistara, f. 220 b de mon man. A.
  4. Lalita vistara, f. 221 a de mon man. A ; f. 223 b du man. de la Soc. asiat.
  5. Râdjâ Râdhâkânta Dêva. Çabda kalpa druma, t. I, p. 247, col. 2.