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Dêva, d’après le Sâhityadarpana, l’un des meilleurs traités de rhétorique, définit ainsi : रसयुक्तवाक्यं « c’est un discours orné des [huit] sentiments [poétiques[1]]. » Or il est évident que le titre d’Itihâsa, dont j’ai indiqué plus haut le rapport avec celui de Purâṇa, s’applique très-exactement au Mahâbhârata ; car cet ouvrage est un recueil de traditions de tout genre, faiblement unies par le lien flottant du dialogue, et au milieu desquelles se perd fréquemment le fil du récit principal. La dénomination de Kâvya, mot qui signifie l’œuvre du Kavi ou du chantre inspiré, convient au contraire beaucoup mieux au Râmâyaṇa, dans lequel on voit plus clairement l’action d’une pensée unique, dont il est aisé de suivre le grand et simple développement. Ce n’est pas ici le lieu d’insister longuement sur cette différence que révèle l’examen le plus rapide de ces deux beaux ouvrages. Je ne devais pas cependant négliger de remarquer que cette observation reçoit une valeur nouvelle de l’autorité des Brâhmanes eux-mêmes, qui avouent ainsi implicitement que le Mahâbhârata est un recueil de récits conservés par la tradition, et dont le chantre n’est guère que le compilateur, tandis que le Râmâyaṇa est une œuvre beaucoup plus originale, un véritable poème, dont la donnée, puisée également dans la tradition, est développée d’une manière plus libre par le travail du poète.

Le dialogue qui forme en quelque façon le cadre du Mahâbhârata, comme celui du Bhâgavata et de la plupart des Purâṇas dont j’ai été à même d’examiner les manuscrits, se passe entre les solitaires de la forêt de Nâimicha, située dans le nord de l’Inde, qui sont occupés à célébrer un grand sacrifice, et un savant, illustre sur le nom duquel il semble, au premier coup d’œil, que les autorités précitées ne s’accordent pas. Dans le

  1. Çabdakalpadrama, au mot Kâvya, p. 566, col. 1.