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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


composé, prati a le sens de succession, répétition ; itya signifie fait pour aller, pour s’en aller ; c’est le suffixe ya[1] qui donne ici au mot itya le sens de fait pour s’en aller, disparaître ; en un mot, itya signifie instable. La préposition sam signifie ensemble, en connexion ; et pad, précédé de ut, signifie apparition. De là il résulte que le composé Pratîtya samutpâda peut se traduire ainsi : « La production connexe des conditions faites pour disparaître successivement ; » car, ajoute le commentateur, aucune condition ne naît jamais seule[2].

Je reviendrai sur ce terme important dans mon examen de la collection singhalaise. Je remarque seulement ici que, quoique formé d’éléments tout à fait sanscrits, le mot pratîtya n’existe pas, à ma connaissance du moins, dans la langue classique des Brâhmanes ; je n’y trouve que pratyaya[3], qui signifie cause, origine. Tel doit être, je n’en doute pas, le sens du pratîtya buddhique, et si le commentateur Çrilâbha préfère à ce sens celui d’instable, c’est 1o qu’il se tient plus strictement à l’étymologie d’après laquelle pratîtya est un participe adjectif ; 2o qu’il n’envisage que le sens philosophique d’après lequel les conditions, qui sont successivement causes et effets, ont pour caractère l’instabilité. Mais sans aller jusque chez les Singhalais, qui traduisent pratîtya par cause, et en nous en tenant aux autorités du Nord, nous trouvons le sens de cause donné par les interprètes tibétains, qui, chose remarquable, renoncent pour ce mot à leur système de littéralité matérielle. Ainsi la version tibétaine du Saddharma puṇḍarîka[4] traduit Pratîtya samutpâda par rten-tching-hbrel-har-hbyur-ba, « la production enchaînée, connexe des causes, » expression pour l’interprétation de laquelle Schröter[5] fournit la formule rten-tching-hbyal-bar-hbyuny-ba, « deux choses unies ensemble, comme la cause et l’effet, » et la phrase rten-tching-hbrel-bar-hbyung-ba-yan’lag-btchu-gñis-ni, « douze racines qui sont unies avec la cause et l’effet, » ou peut-être qui sont unies entre elles, en ce qu’elles sont mutuellement effet et cause les unes des autres, ce qui est justement la réunion des douze Nidânas. Or, si l’on analyse la version tibétaine, on y trouve d’abord rten-tching, que Schröter traduit par cause ; c’est le mot qui répond au sanscrit pratîtya. Vient ensuite hberl-bar, mot qui se présente sous une forme adverbiale, et qui signifie « d’une manière connexe. » Cet adverbe modifie certainement le mot qui suit hbyung-ba, « production, » et il représente le préfixe sam dans l’expression samutpâda. Je rends donc littéralement ce composé par

  1. Ce suffixe, dans Pâṇini, se nomme Kyap. (Pâṇini, III, i, 109.)
  2. Abhidharma kôça vyâkhyâ, fol. 213 b.
  3. Dérivé du même radical que pratîtya.
  4. Texte sanscrit, ch. i, f. 11 a.
  5. Bhotanta Diction., p. 338, col. 2.