Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/574

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
532
INTRODUCTION À L’HISTOIRE

crit de la Compagnie des Indes n° 310, qui ont également Sahalôkadhâtu[1] ; mais il céda sans doute à l’autorité de M. A. Rémusat, qui lisait Savalôka dhâtu[2], et de M. Schmidt, qui avait aussi trouvé dans les auteurs mongols sava[3]. Il admit donc dans son texte çavalôkadhâtâu[4] ; et partant du sens de çava (cadavre), il traduisit ainsi toute l’expression : « dans le fond de ce monde périssable. » Cependant la leçon Sahalôkadhâtâu était conservée par M. Turnour dans ses Recherches sur la chronologie buddhique, et il la traduisait par « dans la totalité du monde[5]. » Lassen, en critiquant avec beaucoup de justesse le Mémoire précité de Turnour, constata combien était obscure l’expression de Sahalôkadhâtu ; et tout en demandant si elle ne pouvait pas se rapporter aux trois rois Turuchkas dont elle indiquait la présence simultanée dans le Kachemire, il convint que cette supposition ne ferait pas disparaître toutes les difficultés du passage où elle se trouve[6].

Dans cet état de choses, il importe de remonter aux textes eux-mêmes et de consulter les peuples étrangers à l’Inde qui ont été forcés de traduire cette expression toute buddhique. Premièrement les textes nous donnent le mot saha sous deux formes : d’abord tel que je viens de le transcrire et en composition avec le mot lôkadhâtu, de cette manière, Saha lôkadhâtu ; ensuite terminé par une voyelle longue et séparé du lôkadhâtu suivant, avec lequel il se décline : Sahâ lôkadhâtuḥ, sahâyâm lôkadhâtâu, etc. Sous cette dernière forme c’est un véritable adjectif dont le substantif est lôkadhâtu. De la réunion de ces deux mots résulte une expression semblable à toutes celles par lesquelles on désigne les univers fabuleux dont les Buddhistes peuplent l’espace, par exemple Sukhavatî lôkadhâtuḥ. Je trouve un exemple caractéristique de celle qui nous occupe dans cette phrase du Saddharma Langkâvatâra : Êvam êva mahâmatê aham api sahâyâm lôkadhâtâu tribhir nâmâsam̃khyêya çatasahasrâir bâlânâm çravaṇâvabhâsam âgatchhâmi. « C’est ainsi, ô Mahâmati, que moi-même, dans l’univers Saha, je suis connu des ignorants sous trois centaines de mille d’Asam̃khyêyas de noms[7]. »

Mais que peut signifier saha, qui se présente ici avec le rôle d’un adjectif ? ce mot doit certainement appartenir au radical sah, dans l’une de ses acceptions qui ne sont que des nuances les unes des autres, « soutenir, supporter, tolérer,

  1. Hist. du Kachemire, t. I, p. 371.
  2. Essai sur la Cosmogon. buddh., dans Journal des Savants, année 1831, p. 670.
  3. Geschichte der Ost-Mongol, p. 301.
  4. Hist. du Kachemire, texte, t. I, st. 172.
  5. Journ. of the Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 530.
  6. Zeitschrift f. d. Kunde des Morgenlandes, t. I, p. 239.
  7. Saddharma Langkâvatâra, f. 57 b.