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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Je dois cependant remarquer que M. Schmidt n’a pas constamment traduit de cette manière l’expression anupadhiçêcha, et que dans un autre passage il semble s’être rapproché en partie du sens que je crois le véritable[1]. Ainsi il dit ailleurs : « les êtres sans reste d’aucune accumulation. » Cette expression n’est pas suffisamment claire ; et l’on ne voit pas ce qu’il faut entendre par Anhœufung, si ce ne sont pas les Skandhas. Mais cette traduction a encore l’inconvénient de faire rapporter anupadhiçêcha à sattvâḥ tandis qu’il doit déterminer nirvâṇadhâtâu.

Puisque j’ai eu occasion de parler du mot dhâtu (élément), qu’il me soit permis d’ajouter ici un nouvel exemple de l’emploi de ce terme, où je soupçonne que M. Schmidt lui a donné trop de valeur. Il s’agit d’un passage du Vadjra tchhêdika, où Bhagavat établit que quel que soit le nombre des êtres sauvés par un Bôdhisattva, il n’y a là aucun être qui réellement soit sauvé. Voici le texte sanscrit : Yâvantah…. sattvâḥsattvadhâtâu sattvasam̃grahêṇa sam̃grĭhitâ aṇḍaḍjâ vâ djarâyudjâ vâ sam̃svêdadjâ vâ âupapâdakâ vâ ; et je le traduis littéralement ainsi : « Tout ce qu’il y a d’êtres compris dans le domaine des êtres, sous la collection des êtres, qu’ils soient nés d’un œuf ou d’une matrice, ou de l’humidité, ou d’une manière surnaturelle. » M. Schmidt interprète la version tibétaine de ce passage[2] de la manière suivante : Was ailes zu lebenden Wesen sich aus der Ansammlung (Materie) angesammelt hat, ce qui revient à peu près à ceci : « Tout ce qui, sortant de l’accumulation ou de la matière, s’est acccumulé en manière d’êtres vivants, ou pour devenir des êtres vivants. » Je remarquerai d’abord que la version tibétaine de ce passage, Sems-tchan dji-tsam sems-tchan-du bsdu-bas bsdus-pa, se prête bien au sens que je trouve dans le texte sanscrit, puisque, signifiant littéralement « tout ce qu’il y a d’êtres réunis par collection en êtres, » on y peut voir, en termes plus clairs, « tout ce qu’il y a d’êtres compris dans la collection des êtres. » Ensuite, et pour m’en tenir au sanscrit, qui a ici le mérite d’être l’original, il est clair que sattvadhâtâu ne peut signifier l’élément des êtres ou la matière, comme le propose M. Schmidt, mais que c’est une de ces expressions familières au sanscrit buddhique, où dhâtu n’a pas une très-grande valeur, et où l’on doit tout au plus le traduire par domaine des êtres, pour dire parmi les êtres. C’est encore un trait propre à ce sanscrit, que cette répétition fastidieuse du mot être pour exprimer une idée aussi claire que celle du texte. En général, plus l’idée est simple, plus les Buddhistes y insistent et la développent avec un ample appareil de mots, ce qui en définitive ne contribue pas peu à l’obscurcir.

  1. Ueber das Mahâyâna, etc., dans Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Pétersbourg, t. IV, p. 202.
  2. Ibid., t. IV, p. 187.