Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
528
INTRODUCTION À L’HISTOIRE

Pañtcha krama ne dit rien de cette interprétation, elle n’est pas appuyée davantage par l’autorité des traducteurs tibétains. Dans le passage cité tout à l’heure, ainsi qu’en divers endroits du Lotus de la bonne loi, la formule sanscrite nirupadhiçêchê nirvâṇadhâtâu parinirvrĭtaḥ est ainsi traduite en tibétain : phung-pohi lhag-ma-med-pahi mya-ngan-las-hdas-pahi dbyings-su mya-ngan-las-hdas-so. C’est cette expression qu’il nous faut examiner pour y trouver l’opinion véritable des Tibétains.

Nos dictionnaires tibétains nous fournissent, pour l’explication de cette phrase, les interprétations suivantes : « Il est complètement délivré de la douleur dans l’élément de l’exemption de la douleur, où il n’y a aucun reste d’agrégat. » L’expression composée phung-pohi lhag-ma-med-pahi, qui a la forme d’un génitif précédant le substantif qui le gouverne, répond certainement au composé sanscrit anupadhiçêchê ; et dans cette expression upadhi est rendu par phung-po, et çêcha par lhag-ma. J’entends le mot phung-po comme le traduisent les dictionnaires tibétains : « accumulation, monceau, agrégation d’éléments matériels ; » et ce qui me confirme dans cette vue, c’est que ce mot phung-po est la traduction ordinaire du terme buddhique Skandha, agrégat et attribut intellectuel ; Schröter nous donne cette expression avec ce sens. La phrase même qui nous occupe se trouve aussi dans Schröter, sous une forme verbale, avec le sens d’aller au ciel. Cette interprétation est sans doute trop restreinte, et elle a une tendance théiste qui n’est certainement pas ancienne. Elle prouve cependant que l’on doit chercher dans phung-po la notion des Skandhas, ou des cinq attributs intellectuels constitutifs de l’existence humaine. Enfin, Csoma de Cörös entend exactement de cette manière l’expression tibétaine qui nous occupe, puisqu’il la traduit ainsi : « Entirely delivered from pain with respect to the five aggregates of the body[1]. »

Tous ces rapprochements me portent à croire que le terme upadhi désigne la réunion collective des cinq Skandhas, réunion qui est un des éléments principaux de l’individualité humaine, et je propose de donner à ce terme un sens analogue à celui du support, soutien, c’est-à-dire ce sur quoi reposent les attributs intellectuels de l’individualité, ou de le traduire par supposition, c’est-à-dire ce qu’on suppose être ; de sorte qu’Upadhi désigne l’individualité, prise en quelque sorte subjectivement et objectivement. Il résultera de tout ceci que l’expression anupadhiçêcham nirvâṇam pourra se traduire de cette manière : « L’anéantissement, où il ne subsiste plus rien de l’individualité. » C’est là ce que la glose du Pañtcha krama nomme le vide de tout, la vacuité complète.

  1. Asiat. Res., t. XX, p. 312.