Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
513
DU BUDDHISME INDIEN.

Est-il donc vrai de dire, avec M. Wilson, que l’histoire soit plus étrangère encore, si cela est possible, aux livres des Buddhistes qu’à ceux des Brâhmanes[1] ? Ce n’est pas ici le lieu de discuter en détail une question dont l’examen trouvera naturellement sa place dans l’esquisse historique du Buddhisme ; je dois m’en tenir ici à ce qui touche spécialement à la collection sacrée du Népâl, telle que nous l’a fait connaître M. Hodgson. Or tout en admettant que cette collection ne peut se vanter de posséder un ouvrage aussi réellement historique que le Mahâvam̃sa des Buddhistes singhalais, ou le Bâdja taram̃ginî des Brâhmanes kachmiriens, il n’en est pas moins vrai de dire que les livres buddhiques du Nord renferment encore plus d’histoire, ou d’une manière plus générale, peuvent mieux servir à l’histoire du Buddhisme que ceux des Brâhmanes ne font pour celle du Brâhmanisme. N’est-ce pas déjà pour ces livres un avantage que d’être aussi décidément postérieurs qu’ils le sont à l’établissement définitif de la société indienne et au développement de la littérature sacrée des Brâhmanes ? N’avons-nous pas vu plus haut, en analysant les Sûtras, combien ces ouvrages renferment d’allusions à l’état de la société brâhmanique, à la littérature sacrée, enfin aux hommes au milieu desquels ils ont été prêchés ou rédigés ? C’est même ce qui distingue en général les compositions religieuses des Buddhistes de celles des Brâhmanes. Tandis que celles-ci ne descendent jamais du ciel et qu’elles restent constamment dans les vagues régions de la mythologie, où le lecteur ne saisit que des formes vaines qu’il ne lui est pas plus possible de fixer dans le temps que dans l’espace, les livres sacrés des Buddhistes nous présentent d’ordinaire une suite d’événements tout à fait humains, un Kchattriya qui se fait ascète, qui lutte avec les Brâhmanes, qui instruit et convertit des rois dont ces livres nous ont conservé les noms[2]. Les seuls monuments brâhmaniques qui puissent lutter sous ce rapport avec les livres des Buddhistes sont les portions les plus authentiques des épopées anciennes, les drames et quelques recueils de contes[3].

Pour que les indications diverses qui se présentent dans les livres du Népâl avec le caractère frappant de la réalité deviennent de l’histoire véritable, il suffit que quelques-uns des personnages cités dans les livres buddhiques soient connus d’ailleurs, et que l’époque où ils ont vécu soit déterminée par des moyens indé-

  1. Abstract of the contents of the Dul-va, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. I, p. 6.
  2. Lassen, Zeitschrift fur die Kunde des Morgenland, t. IV, p. 503 et 504.
  3. Je fais allusion ici au recueil intitulé Kathâ saritsâgara, dont on doit la publication aux soins de M. H. Brockhaus. Plusieurs des contes que renferme ce recueil offrent des analogies frappantes avec quelques-unes de nos légendes. Je signalerai, entre autres, celle d’Udâyana, dont la capitale était Kâuçambhî. La tradition buddhique le fait contemporain de Çâkyamuni. Je reviendrai, dans l’esquisse historique, sur ce synchronisme intéressant.