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DU BUDDHISME INDIEN.

sans avoir sous les yeux l’ouvrage qui nous occupe, que le Nâgasêna, qui suivant les Buddhistes singhalais convertit le roi de Sagala, est le même que le Nâgârdjuna des Buddhistes du Nord[1]. Il y a d’ailleurs une raison décisive de croire que Yaçômitra n’a pu ignorer l’existence de Nâgârdjuna ; c’est qu’il parle en plus d’un endroit du système Madhyamika, qui, selon le commentateur du Vinaya sûtra, doit son origine à Nâgârdjuna. Nous conclurons encore de tout ceci que notre auteur est plus moderne que ce grand philosophe, c’est-à-dire qu’il est venu après tous les événements qui ont eu de l’influence sur les destinées du Buddhisme septentrional. Son travail, il est vrai, porte assez peu de traces de ces événements, entre lesquels il ne cite, à ma connaissance, que le troisième des conciles où furent soumises à une révision nouvelle les écritures buddhiques[2].

Ces indications ne sont pas encore suffisantes pour nous permettre de fixer avec précision l’âge et la patrie de Yaçômitra ; mais il faut convenir aussi que le sujet purement philosophique auquel est consacré son ouvrage n’est pas de ceux où les faits historiques viennent d’ordinaire se placer. Ce sujet même n’y est pas facile à suivre à cause de la forme du commentaire, qui prend isolément chaque mot du texte et le développe ou le noie dans une glose d’ordinaire très-étendue. Il n’est que très-rarement possible de distinguer le texte d’avec ces commentaires au milieu desquels il est perdu. L’ouvrage de Vasubandhu, que se propose d’expliquer Yaçômitra, est lui-même une composition rédigée sur des Sûtras antérieurs. Cette composition n’est vraisemblablement qu’un commentaire ; du moins c’est ce qu’il serait permis de conclure des paroles de Yaçômitra, le dernier commentateur, qui s’exprime ainsi : « Beaucoup de Sûtras sont omis parce que l’exposition du texte est perdue ; le maître ici

  1. Indien, p. 85, extrait de l’Encyclopédie d’Ersch et Gruber. C’est probablement notre Nâgârdjuna dont les Chinois ou leurs interprètes transcrivent ici le nom, Nâha Kochuna. Ce sage aurait paru 800 ans après le Nirvâṇa de Çâkyamuni, et un de ses disciples aurait composé le livre intitulé Pe lun ou les cent discours. (A. Rémusat, Foe koue ki, p. 159.) Ailleurs ce sage est appelé Bôdhisattva. (Ibid., p. 152 et 177.) Ce nom de Nâga Kochuna offre certainement une assez grande ressemblance avec celui de Nâgârdjuna, et les cent discours paraissent rappeler la collection de la Çatasahasrikâ. Ce qui est également digne de remarque, c’est la date de 800 ans après Çâkya, que les Chinois assignent à la venue de ce sage. J’en conclus, comme j’essaierai de le montrer dans mon esquisse historique, que les Buddhistes chinois qui ont adopté cette date ont voulu concilier ce qu’ils savaient de l’époque réelle de Nâga Kochuna avec la date qu’ils avaient précédemment admise pour l’époque de Çâkyamuni.
  2. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 197 a de mon man. Le texte désigne ce concile par le nom même que donnent à ces sortes d’assemblées les Buddhistes du Sud : Trĭtiyam dharma sam̃gîtim anupraviçya ; mais rien ne nous indique la date de ce concile, et l’on ne sait pas si l’auteur veut désigner celui que les Buddhistes singhalais placent 218 ans après Çâkya, ou celui des Buddhistes du Nord, 400 ans depuis la mort du Maître.