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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

que je rapporte au second âge de la littérature sacrée : ce sont des Mahâyâna sûtras. Il n’entre pas dans mon plan de reproduire ici ces citations ; je crois cependant utile d’en donner deux comme spécimen de la doctrine que le commentateur a surtout en vue d’appuyer. J’avertis seulement le lecteur que le manuscrit dont je me sers est extrêmement incorrect, et que j’ai été obligé d’omettre un mot, qui se trouve, il est vrai, dans une énumération de termes similaires et qui a probablement peu d’importance.

Voici ce qui est dit dans le livre intituté Ratnatchûḍâ pariprĭtchhâ. Examinant la pensée (ou l’esprit, tchitta), il cherche à en reconnaître le tranchant[1]. D’où vient, se dit-il, l’origine de la pensée ? Voici l’idée qu’il s’en fait : Quand il y a un support [extérieur], la pensée paraît. Mais quoi ? le support est-il une chose, et la pensée une autre chose ? Non, ce qui est le support, cela est la pensée même. Si au contraire autre chose était le support, autre chose la pensée, alors il y aurait double pensée : donc ce qui est le support est la pensée même. Mais comment l’homme peut-il voir la pensée avec sa pensée ? La pensée ne voit pas la pensée. C’est, par exemple, comme une lame d’épée donnée qui ne peut trancher cette lame même ; c’est comme l’extrémité d’un doigt donné qui ne peut toucher ce doigt même : de la même manière une pensée donnée ne peut voir cette pensée même. C’est ainsi qu’occupé de cette méditation d’une manière approfondie, il voit réellement dans la qualité qu’a la pensée de n’avoir pas de lieu où elle repose, de n’être ni interrompue ni permanente, de ne pas être absolue, de ne pas être sans cause, de ne pas être arrêtée par une cause occasionnelle[2].… il y voit, dis-je, le tranchant de la pensée, son caractère, sa condition ; il voit la qualité qu’elle possède, de n’avoir pas de lieu où elle repose, d’être passagère, invisible, contenue en elle-même. C’est ainsi qu’il voit la réalité véritable, et il ne la supprime pas ; il connaît réellement, il voit réellement le caractère spécial de la pensée. C’est là, ô fils de famille, le regard de la pensée sur la pensée, et non un acte de la présence de la mémoire[3]. »

J’ai cité ce passage parce qu’il renferme deux des traits les plus caractéristiques de la psychologie buddhique. Le premier, c’est que la pensée ou l’esprit (car la faculté n’est pas ici distinguée du sujet) ne paraît qu’avec la sensation et ne lui survit pas ; l’autre, que l’esprit ne peut pas se saisir lui-même, et qu’en portant son regard sur lui, il n’en retire que la conviction de son impuis-

  1. Cette expression s’explique par la suite du texte ; c’est une figure empruntée à la forme d’une épée dont la lame, comme le dit notre auteur, ne peut se trancher elle-même. Il emploie cette figure pour montrer que la pensée ne peut se voir elle-même.
  2. J’omets ici quelques syllabes illisibles.
  3. Vinaya sûtra, f. 18 a.