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DU BUDDHISME INDIEN.

Les axiomes de Nâgârdjuna ne sont généralement cités par le commentateur qu’en abrégé ; néanmoins, et quoique le manuscrit soit fort incorrect, il est facile de voir quelles sont les opinions de l’auteur primitif et de son commentateur : c’est au fond la même doctrine que celle de la Pradjñâ pâramitâ, poussée plus loin encore, si cela est possible. Ainsi, parmi les textes de la Pradjñâ, le commentateur cite ceux qui affirment le plus nettement qu’il n’existe absolument rien ; c’est lui qui, par exemple, cite cet axiome rapporté plus haut : « Le Buddha lui-même est semblable à une illusion[1]. » On peut définir la doctrine de Nâgârdjuna un nihilisme scolastique. Ce philosophe ne laisse subsister aucune des thèses que l’on pose dans les diverses écoles buddhiques, sur le monde, les êtres, les lois et l’âme ; il ébranle également par le doute les affirmations positives, négatives et indifférentes : tout y passe, Dieu et le Buddha, l’esprit et l’homme, la nature et le monde. C’est probablement à ce pyrrhonisme que son école doit le nom de Madhyamika (intermédiaire) ; elle se place en effet entre l’affirmative et la négative, lorsqu’en parlant des choses, elle établit qu’il n’est pas plus possible d’en affirmer que d’en nier l’éternité. On a peine à comprendre comment ce livre peut se donner pour une des autorités de la doctrine de Çâkyamuni. Il semble qu’un Brâhmane voulant réduire au néant cette doctrine ne pourrait mieux faire que d’adopter les arguments négatifs de Nâgârdjuna et de son commentateur.

Au reste, un traité de cette espèce a toujours pour nous un genre particulier de mérite, indépendamment de la valeur plus ou moins considérable du fonds ; ce mérite, c’est qu’il cite des Religieux ou des commentateurs, qui autrement nous seraient tout à fait inconnus. En attendant que d’autres ouvrages nous représentent leurs noms, accompagnés de quelques circonstances propres à en fixer plus ou moins rigoureusement la date, je crois utile de les mentionner ici : ce sont l’Âtchârya Buddha pâlita[2], Âryadêva[3] et l’Âtchârya Bhâva vivêka[4]. Les deux premiers sont connus chez les Tibétains pour les principaux disciples de Nâgârdjuna, ce qui les place quatre cents ans après le Buddha, comme leur maître[5]. Ces trois auteurs, par cela seul que Tchandra kîrti les cite dans son commentaire, sont antérieurs à l’époque où il écrivait.

La glose de Tchandra kîrti abonde en citations d’ouvrages canoniques, comme la Pradjnâ pâramitâ et d’autres Sûtras ; mais ces ouvrages sont de ceux

  1. Vinaya sûtra, f. 136 b.
  2. Ibid., f. 4 a, 6 b et 10 a.
  3. Ibid., f. 4 b.
  4. Ibid., f. 10 a.
  5. Csoma, Notices of diff. Systems of Buddhism, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. VII, p. 144.