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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

non existantes ; toutes sont le produit de l’imagination ; toutes sont semblables à une illusion, semblables à un songe, semblables à quelque chose de factice, semblables à l’image de la lune réfléchie dans l’eau. Voilà le développement qu’ils exposent. Les créatures, après avoir entendu cet enseignement de la Loi fait par le Tathâgata, voient toutes les conditions dégagées de passion ; ils les voient dégagées d’erreur, n’ayant pas de nature propre, n’ayant rien qui les enveloppe. Avec leur pensée se reposant sur l’espace, ces créatures, comme si elles avaient fait leur temps, entrent d’une manière complète dans le domaine du Nirvâṇa, où il ne reste aucune trace de l’agrégation des éléments constitutifs de l’existence[1]. »

Pour exposer en peu de mots le résultat des analyses développées dans cette section, je dirai que les Tantras se composent du mélange des éléments les plus divers. Ils renferment d’abord le Buddhisme, et j’oserais presque dire tous les Buddhismes représentés chacun par leurs symboles les plus respectés : savoir, le Buddhisme primitif par le nom de Çâkyamuni ; celui des Buddhas célestes par les noms d’Amitâbha, des autres Dhyâni Buddhas et des Bôdhisattvas également célestes, comme Avalôkitêçvara et les autres ; enfin celui des théistes par le nom d’Âdibuddha. À ces données théologiques se trouvent associées des spéculations métaphysiques de l’ordre le plus abstrait, comme le nihilisme de la Pradjñâ. Enfin, ces éléments purement buddhiques s’allient à la partie la plus honteuse du Brâhmanisme populaire ; savoir, au culte des Divinités femelles adorées par les sectes qui sont sorties les dernières de l’antique souche du Çivaïsme. En effet, non contents d’honorer d’un culte idolâtre les Çaktis ou énergies femelles, qu’ils imaginent être les épouses des six Buddhas divins et du suprême Âdibuddha, les sectateurs des Tantras ont adopté en masse toutes les Çaktis que possédaient les Tantras çivaïtes, depuis celle de Brahmâ jusqu’à celle de Çiva, la plus fréquemment invoquée, tant à cause de son caractère effrayant et sanguinaire que par suite de la multitude des noms qu’elle porte, offrant ainsi à ces superstitions misérables d’inépuisables sujets d’adoration. S’il fallait exprimer par des nombres les proportions dans lesquelles interviennent ces conceptions si diverses, on pourrait dire que les pratiques et les formules spécialement relatives aux Divinités femelles occupent d’ordinaire deux fois autant de place que tous les éléments purement buddhiques réunis ensemble ; et que parmi ces éléments mêmes, celui qui se montre le plus rarement, c’est le nom de Çâkyamuni qui

  1. Vinaya sûtra, f. 13 b sqq. Ce morceau est certainement connu des Buddhistes chinois, car Des Hauterayes, dans ses Recherches sur la religion de Fo, donne un extrait assez étendu qui présente l’analogie la plus frappante avec notre texte ; il attribue ces opinions aux sectateurs de la Doctrine intérieure. (Journ. Asiat., t. VIII, p. 87.)