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DU BUDDHISME INDIEN.

tel recueil ne décide pas, je l’avoue, la question que je posais tout à l’heure, car ce recueil peut être moderne et bien postérieur aux interpolations qui auraient introduit des Dhâraṇîs dans les ouvrages que je viens de citer. Je préfère cependant la première solution à la seconde, et je pense que les Dhâraṇîs n’ont pas été ajoutées après coup dans les livres où elles ont pris place. Il y a plus : l’usage de ces formules devait être général à l’époque où ont été rédigés ces livres ; autrement on n’aurait pas senti le besoin de les y admettre. C’est là du reste un point sur lequel je reviendrai plus bas.

On rencontre au milieu de ces formules des ouvrages d’un caractère un peu différent, par exemple des Sûtras nommés Mahâyânas, mais dans lesquels figurent encore des Dhâraṇîs souvent très-étendues, et surtout des Stôtras ou éloges, notamment le Stôtra des sept Buddhas humains, celui-là même qu’a traduit M. Wilson[1] ; celui d’Âryatâra, surnommée Sragdharâ, Déesse qui est l’épouse du Buddha surhumain Amôghasiddha ; celui de Vasudharâ, l’une des neuf grandes Déesses ; celui d’Avalôkitêçvara, un Sûrya çataka ou cent stances en l’honneur du soleil. Il s’y trouve même, sous la forme d’un dialogue entre Vasichtha et Daçaratha, un fragment du Skandha purâṇa, cet inépuisable recueil qui fournit à la littérature populaire de l’Inde moderne un si grand nombre de légendes. Quelques-uns de ces traités portent des noms d’auteurs, comme Sarvadjña, Ârya Mâitrînâtha, Çrîvadjra datta. Mais de ces trois noms, les deux premiers sont, l’un celui de tout Buddha et en particulier de Çâkyamuni, l’autre celui de Mâitrêya ; et il est probable que ces noms ont été placés au bas de ces traités par quelque dévot qui aura voulu les faire passer pour l’œuvre de ces saints personnages. Un rapprochement singulier qui résulte, selon moi, d’un anachronisme manifeste, nous montre Çâkyamuni dans le palais d’Avalôkitêçvara, à Pôtaraka, dans cette ville même qui est l’ancienne capitale du Tibet, la Pôtala de nos jours. Or, cette ville passe, d’après la tradition, pour avoir été fondée par Avalôkitêçvara, personnage dont l’existence se rattache intimement aux premiers établissements du Buddhisme dans l’Himalaya. C’est là une trace d’un fait purement local et propre au Tibet, qui ne peut être contemporain des temps où a dû vivre Çâkya ; j’y reviendrai ailleurs à l’occasion d’Avalôkitêçvara. Je remarque encore une autre trace du même genre ; c’est le nom d’une Divinité sinon exclusivement propre, du moins très-célèbre au Kachemire, pays dont le nom est d’ailleurs cité dans le texte. « Adoration au bienheureux Mahâkâla, qui a les « noms de Nandikêçvara, d’Adhimuktika, et qui habite dans les cimetières du Kaçmîra[2]. »

  1. Recueil de Dhâraṇîs, manuscrit de la Soc. Asiat., f. 69 a sqq. Asiat. Res., t. XVI, p. 453.
  2. Recueil de Dhâraṇîs, f. 29 b.