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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

dhiques ne sont pas en ce point au-dessous des Tantras çivaïtes. Le passage auquel je fais allusion est consacré à la description du culte qu’on doit rendre à une Yôginî, c’est-à-dire à une femme chargée de représenter la Divinité femelle qu’on adore. L’ouvrage, qui se compose de trente-trois chapitres, a la forme d’un Sûtra ; le dialogue a lieu entre Bhagavat et le Bôdhisattva Vadjrapâni, fils du Buddha surhumain Akchôbhya. Il est écrit en vers du mètre anuchṭubh, en un sanscrit très-incorrect et rarement mêlé de formes pâlies (par exemple, bhonti pour bhavantî) ; mais l’incorrection du texte vient le plus souvent de la faute du copiste, qui n’a peut-être pas toujours su lire le manuscrit original, lequel doit avoir été écrit dans l’ancien caractère Randjâ.

Les pratiques ridicules dont j’ai signalé l’existence dans le Tantra précédent se retrouvent dans le Mahâkâla tantra, dont il existe une traduction dans la collection tibétaine du Kah-gyur[1]. Mahâkâla est, on le sait, un des noms les plus connus de Çiva ; ici encore l’union du Çivaïsme avec le Buddhisme, exprimée par ses symboles les plus grossiers, est manifeste. On trouve dans ce traité une explication de la valeur mystique des lettres dont se compose le nom de Mahâkâla ; on y enseigne les moyens de découvrir les trésors cachés, de parvenir à la royauté, d’obtenir la femme qu’on veut pour épouse ; on y donne la recette de plusieurs compositions, dont l’une a la merveilleuse propriété de rendre invisible celui qui s’en frotte les yeux. Je laisse au lecteur à deviner de quelles substances se compose cet onguent, dans lequel figure en première ligne le fiel de chat. Un chapitre renferme divers détails donnés sous la forme de prédictions touchant quelques villes et quelques rois de l’Inde ; mais le texte est si confus et le manuscrit si incorrect, que je n’en ai rien pu tirer. Je trouve encore dans un autre endroit ce renseignement assez curieux, que le Bôdhisattva Avalôkitêçvara demeure dans le pays d’Uttara kuru[2] : peut-être faut-il voir ici une allusion à l’origine septentrionale d’Avalôkitêçvara et des légendes qui se rattachent à ce personnage, véritable saint tutélaire du Tibet. Ce Tantra, qui est rédigé dans un style pitoyable, a la forme d’un Sûtra et d’un dialogue entre Çâkya et une Déesse dont je n’ai pu découvrir le nom ; il est en prose avec quelques traces accidentelles de versification.

Je n’insisterai pas davantage sur cette partie de la littérature buddhique ; ce serait cependant la faire imparfaitement connaître que de ne pas signaler l’utilité dont elle peut être pour l’histoire littéraire du Buddhisme, en particulier dans les temps modernes. Ainsi il importe de remarquer, parmi les Tantras, le Kâla tchakra ou La roue du temps, dont on doit une analyse détaillée à Csoma, mais

  1. Csoma, Analys. of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, p. 495.
  2. Mahâkâla tantra, f. 79 b.