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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

avantages, combien ce livre est de peu de valeur pour nous, auprès des légendes où la vie réelle de Çâkyamuni est retracée, et des paraboles si profondes du Lotus de la bonne Loi ! Il porte tous les caractères d’un traité qui n’appartient pas à la prédication de Çâkya, et qui a dû être composé à loisir dans quelque monastère, au temps où le Buddhisme s’était complètement développé. Il est écrit en prose et en vers, comme toutes les compositions du second âge du Buddhisme, et les parties poétiques portent les traces de ce mélange de formes prâcrites que j’ai signalé dans les Sûtras développés.

Ensuite, et ceci touche au fond même, ce livre est tellement rempli et des éloges qu’en font le Buddha ou ses Auditeurs, et du récit des avantages promis à celui qui l’étudiera et le lira, qu’on le cherche vainement sous cette masse de louanges, et qu’on arrive à la dernière page, à peu près sans savoir ce que c’est que le Suvarṇa prabhâsa. Ce trait est, à mon sens, tout à fait décisif. Rien, en effet, ne montre mieux à quelles médiocres proportions le Buddhisme était réduit par les Tantras, que cette fastidieuse répétition des avantages et des mérites assurés au possesseur d’un livre qui en lui-même, et à part ses développements, se réduirait à peu près à quelques pages. C’est le goût et le style des plus mauvais d’entre les Purâṇas brâhmaniques, de ceux qui sont exclusivement consacrés à défendre des intérêts de secte. Le morceau le moins médiocre de l’ouvrage est l’histoire de Mahâsattva qui nourrit de son corps une tigresse affamée ; encore cette légende n’a-t-elle pas plus de mérite que toutes celles dont abondent les recueils du Divya avadâna, de l’Avadâna çataka et du Mahâvastu. Le lecteur peut en juger lui-même par la traduction qu’en a donnée M. I. J. Schmidt, d’après le texte de l’Altan gerel, version mongole du Suvarṇa prabhâsa[1]. La partie philosophique, laquelle appartient à l’école la plus négative du Buddhisme, y est très-brève et maigrement traitée.

Enfin on se demande quelles peuvent être les raisons de l’attrait que les Buddhistes du Nord ont pour ce livre. Prétendra-t-on que cela vient de ce que c’est un Sûtra, c’est-à-dire un livre attribué à Çâkyamuni lui-même ? Mais cette circonstance n’est, ni pour les Népâlais ni pour nous, une raison suffisante de le préférer à d’autres Sûtras attribués également au fondateur du Buddhisme. Il est clair que le titre de Sûtra donné à un livre ne prouve pas que ce livre doive être rangé dans la classe des traités primitifs. J’ai déjà montré, en analysant

  1. Mongol. Gramm., p. 163 sqq. J’ai comparé cette traduction avec le texte sanscrit de notre Suvarṇa prabhâsa, et je l’ai trouvée, sauf un petit nombre de points, si exacte, qu’on croirait qu’elle a été exécutée sur le sanscrit et non sur le mongol. Outre que cette circonstance prouve le soin que M. Schmidt apporte à tous ses travaux, j’en conclus que, sauf les différences de développement signalées tout à l’heure, c’est un seul et même fonds qui forme la base des deux rédactions du Suvarṇa prabhâsa, celle des Mongols et celle des Népâlais.