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DU BUDDHISME INDIEN.

cette prétention une objection très-forte, qui se tire du caractère des Divinités dont ils recommandent le culte et des pratiques qu’ils enjoignent. Rien ne prouve, en effet, que ces Divinités aient figuré dans l’enseignement primitif de Çâkya ; la preuve du contraire résulte même de ce qu’elles sont entièrement inconnues aux Sûtras et aux légendes buddhiques du Népâl, que j’ai examinés plus haut. Là ne paraissent ni les énergies femelles des Buddhas et de Çiva, ni le culte obscène qu’on leur rend, ni les formules par lesquelles on s’assure leur protection.

À cette observation que je crois décisive, j’en ajouterai une autre, qui, quoique portant sur un point de moindre valeur, n’en mérite pas moins d’être prise en considération. Je veux parler de l’extrême différence qu’on remarque entre le style des Tantras et celui des Sûtras primitifs. Outre que ce style est quelquefois obscur et incorrect jusqu’à la barbarie, il emploie avec une acception toute spéciale des termes qui dans les anciens Sûtras ne se présentent qu’avec leur sens ordinaire et classique. Je citerai notamment le mot Vadjra (diamant, foudre), qui joue un grand rôle dans le langage des Tantras, et qui figure entre autres au commencement du nom de Vadjra sattva, ce sixième Buddha surhumain qui est de l’invention des Tantristes. Ce même mot paraît encore dans le nom du Vadjra âtchârya ou du prêtre buddhiste des Népâlais. Le véritable caractère de ce prêtre a été nettement tracé par M. Hodgson[1], et les recherches de ce savant nous ont appris que les Vadjra âtchâryas étaient d’une date assez moderne. Ce témoignage vient à l’appui de l’observation que je fais en ce moment sur l’emploi du mot Vadjra. Je suppose que le nom de Vadjra âtchârya, « le précepteur du diamant, » ou « le précieux précepteur, » qui au rapport de M. Hodgson ne se trouve dans aucun livre canonique, appartient à la même époque et à la même source que celui de Vadjra sattva, « celui qui a l’essence du diamant, » ou « l’être précieux. » Ici, sans doute, Vadjra doit avoir un sens figuré, celui de précieux, suprême[2], comme ratna, « joyau, » qui paraissant dans l’expression sacramentelle de Triratna, c’est-à-dire les trois joyaux (Buddha, la Loi et l’Assemblée), a perdu son sens propre pour prendre l’acception générale de précieux, éminent. Je ne puis m’empêcher de croire que l’usage si fréquent que les textes anciens font de Ratna, avec le sens spécial de précieux, a donné naissance à celui de Vadjra, qui n’est pas moins familier aux auteurs des Tantras. Quoi qu’il puisse être, au reste, de l’influence qu’a exercée l’emploi du mot Ratna,

  1. Quotations, etc., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 34 et 35. Voyez ci-dessus, sect. t. III, p. 301, note 1.
  2. Notice of three tracts, etc., dans Asiat. Res., t. XVI, p. 475 sqq. Voyez encore, pour la valeur d’application de ce mot, Schmidt, Geschichte der Ost-Mongol, p. 310.