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DU BUDDHISME INDIEN.

nelle des Sâm̃khyas ; ce qu’il admet, c’est la multiplicité et l’individualité des âmes humaines, des Sâm̃khyas, et la transmigration des Brâhmanes. Ce qu’il veut atteindre, c’est la délivrance ou l’affranchissement de l’Esprit, ainsi que le voulait tout le monde dans l’Inde. Mais il n’affranchit pas l’Esprit comme faisaient les Sâm̃khyas en le détachant pour jamais de la Nature, ni comme faisaient les Brâhmanes en le replongeant au sein du Brahma éternel et absolu ; il anéantit les conditions de son existence relative en le précipitant dans le vide, c’est-à-dire, selon toute apparence, en l’anéantissant.

Après cela, que cette doctrine ait produit le Pyrrhonisme de la Pradjñâ et le Nihilisme des autres écoles comme celle de Nâgârdjuna, il n’y a rien là qui doive surprendre. Mais ni ce Pyrrhonisme ni ce Nihilisme ne sont écrits en toutes lettres dans les Sûtras émanés de la prédication de Çâkya, comme ils le sont dans la Pradjñâ pâramitâ et dans les autres ouvrages qui s’appuient sur ce recueil. C’en est assez pour justifier l’opinion que j’ai avancée en commençant cette analyse, savoir, qu’il y a entre les Sûtras, considérés comme sources de la métaphysique buddhique, et la Pradjñâ ou les livres qui en dépendent, l’intervalle de plusieurs siècles, et la différence qui sépare une doctrine qui n’en est qu’à ses premiers débuts d’une philosophie qui a atteint à ses derniers développements.



SECTION V.
TANTRAS.

La partie de la collection népâlaise à laquelle est consacrée cette section se distingue d’une manière si tranchée de toutes celles que j’ai examinées jusqu'ici, que les Tibétains eux-mêmes la mettent de côté dans la classification la plus générale qu’ils font de leurs livres religieux, appelant Mdo ou Sûtra tout ce qui n'est pas Rgyud ou Tantra[1]. Les Tantras, en effet, sont des traités d’un caractère tout spécial, où le culte de Dieux et de Déesses bizarres ou terribles s’allie au système monothéistique et aux autres développements du Buddhisme septentrional, c’est-à-dire à la théorie d’un Buddha suprême et à celle des Buddhas et des Bôdhisattvas surhumains. Tous ces personnages sont dans les Tantras l’objet d'un culte dont ces livres tracent minutieusement les règles ; et

  1. Csoma, Analysis of the Sher-chin, dans Asiat. Researches, t. XX, p. 412.