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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

De telles opinions, et d’autres semblables que soutiennent les logiciens des mauvaises écoles des Tîrthyas, sont, à cause de leur fausseté, repoussées par le sage. [Tous en effet,] Mahâmati, se représentent le Nirvâṇa d’après une idée qui s’arrête à deux termes. Ce sont là, entre autres, Mahâmati, les idées que tous les autres Tîrthakaras se font du Nirvâṇa. Mais avec de telles opinions, on ne peut pas dire qu’on soit dans l’action (Pravrĭtti), ou dans l’inaction (Nirvrĭtti). Chaque Tîrthakara, ô Mahâmati, a son Nirvâṇa ; examinées d’après les idées de leurs propres livres, de telles opinions sont inconséquentes ; elles ne se soutiennent pas, telles qu’ils les présentent. Le Nirvâṇa ne résulte pour personne du mouvement, de l’arrivée ou du départ du cœur. Après t’être instruit de cette vérité, ainsi que les autres Bôdhisattvas, tu dois rejeter tous les Nirvâṇas des Tîrthakaras comme de fausses doctrines[1]. »

D’après la manière dont ce morceau se termine, il semblerait que toutes les opinions qu’il expose sur le Nirvâṇa sont également repoussées par l’auteur. Je crois cependant que la dernière est celle qu’il admet ; et cette opinion, qui est d’ailleurs exprimée en termes obscurs, revient à la négation absolue du sujet et de l’objet. Je suis fondé à croire que cette manière d’envisager le Nirvâṇa est une des opinions dominantes dans le Buddhisme du Nord ; que c’est très-probablement celle des diverses rédactions de la Pradjñâ, peut-être celle des Madhyamikas, et certainement celle des Yôgâtchâras, vers les opinions desquels le Langkâvatâra me paraît pencher[2]. Je retrouve encore dans cet ouvrage d’autres détails sur le Nirvâṇa qui reviennent à peu près à ceux qu’exprime la dernière des opinions rapportées dans le morceau précédent. Après avoir décrit le Nirvâṇa comme répondant au vide absolu, dans ces termes singulièrement obscurs : « le domaine de l’essence de la vacuité de toute nature propre qui « appartienne au Nirvâṇa, » Bhagavat ajoute : « Encore autre chose, Mahâmati : le Nirvâṇa, qui est le domaine d’une science vue par chacun des Âryas individuellement, est à l’abri des diverses idées qu’on s’en peut faire, savoir qu’il est éternel, qu’il est interrompu, qu’il est et qu’il n’est pas. Comment se fait-il qu’il n’est pas éternel ? C’est qu’il ne donne pas lieu à l’idée qu’il ait des attributs soit propres, soit communs [à autre chose] ; de là vient qu’il n’est pas éternel. Comment se fait-il qu’il n’est pas interrompu ? C’est que tous les Âryas passés,

    élevée de toutes celles auxquelles un être animé puisse atteindre, n’existe réellement pas ; que c’est une apparence illusoire ; que l’image réfléchie par cette apparence privée de réalité, c’est-à-dire, sans doute, le Buddha individuel, doit être pour le Religieux l’objet d’une méditation profonde, etc. J’aurais pu détacher tout cela en propositions plus courtes ; mais j’ai cru qu’il fallait, par une version très-littérale, donner une idée de ce style.

  1. Saddharma Langkâvatâra, f. 54 b sqq.
  2. Saddharma Langkâvatâra, f. 3 b, 13 a, 23 b.