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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

de la Pradjñâ, non pas seulement pour la forme, mais jusqu’à un certain point pour le fonds. Je laisse de côté le Saddharma puṇḍarîka, qui ne touche qu’à un point spécial, celui de l’unité des trois moyens de transport, et je ne veux m’arrêter qu’à un livre jouissant d’une égale autorité et dont la tendance spéculative est incontestable. Ce livre, qui paraît également estimé chez tous les peuples qui ont reçu le Buddhisme du nord de l’Inde, est déjà connu sous le titre de Langkâvatâra, c’est-à-dire l’enseignement donné à Langkâ ou Ceylan. Ce qui me confirme dans cette dernière explication, c’est que le titre de l’ouvrage, tel qu’il est répété à la fin de chaque chapitre, est Saddharma Langkâvatâra, « La révélation de la bonne loi à Langkâ[1]. » Cet ouvrage, qui se compose de cent six feuilles ou deux cent douze pages très-grandes et très-pleines, est donné pour un Mahâyâna sûtra. Il est écrit en prose et en vers, et la partie poétique offre d’assez nombreuses traces de ce style mélangé de formes prâcrites dont j’ai signalé l’existence dans le Lotus de la bonne Loi. Une stance qui n’appartient pas à la rédaction primitive de l’ouvrage marque nettement le but tout philosophique de ce traité : « Le Sûtra dans lequel il est enseigné par le Roi de la Loi que les conditions (Dharmas) sont privées d’âme est transcrit ici avec attention. » Çâkya est représenté se trouvant à Langkâpurî, sur le sommet de la montagne Malaya giri. Se rappelant que les anciens Tathâgatas ont exposé la Loi en ce lieu, il se sent disposé à les imiter ; et Râvaṇa, roi de Ceylan, qui pénètre son intention, éprouve le désir de l’entendre. Râvaṇa se rend auprès de Çâkya et lui adresse quelques stances pour le prier d’enseigner sa doctrine aux habitants de Ceylan, comme l’ont fait les Buddhas antérieurs. Çâkya se rend au vœu de Râvaṇa, et par compassion pour lui, il se manifeste dans toute sa gloire, entouré d’un grand nombre de Dêvas et de l’Assemblée de ses Auditeurs.

Le dialogue s’établit alors et se continue dans la suite entre Çâkya et Mahâmati, l’un des Bôdhisattvas de l’Assemblée ; et il roule sur la nature des lois ou des êtres, et sur un grand nombre de points propres à la doctrine buddhique, tels que la production, l’anéantissement, l’intelligence, les vérités sublimes, le vide des diverses espèces de causes. Çâkya rappelle quelquefois d’une manière sommaire les opinions des Tîrthakaras[2], nom sous lequel il désigne les ascètes

  1. M. G. de Humboldt, qui ne connaissait l’ouvrage dont je parle ici que par le titre tronqué de Langkâvatâra, en avait cependant reconnu et exposé la signification véritable, sauf une nuance de peu d’importance : « Die Schrift von dem auf Langkâ (Ceylon) offenbar Gewordnen. » (Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 268.) Les dérivés du radical trĭ, précédé de ava et employé à la forme causale, se prêtent très-aisément au sens de « communiquer, transmettre, » littéralement, « faire descendre l’enseignement. »
  2. On pourrait croire que les Tîrthakaras, dont parle en plus d’un endroit cet ouvrage, sont