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DU BUDDHISME INDIEN.

que cette doctrine est celle des Sâutrântikas, qui se flattent de suivre exclusivement l’autorité des Sûtras de Çâkyamuni[1]. La doctrine des douze causes présuppose donc, ainsi que je l’ai dit, un des deux termes, lequel est l’homme ; et je crois que les anciens Sûtras l’admettaient également. La Pradjñâ Pâramitâ, au contraire, et notamment les Madhyamikas qui prennent ce livre pour autorité, vont beaucoup plus loin, et l’on ne peut nier que leurs déductions ne détruisent également le sujet et l’objet. C’est là, si je ne m’abuse pas, un point que de plus amples recherches ne feront que confirmer. Mais ramenée même aux termes de la théorie des douze causes, l’ontologie primitive des Buddhistes a une assez grande analogie avec celle de l’école brâhmanique du Sâm̃khya. Les Buddhistes reconnaissent dans l’homme un principe intelligent, une vie, une âme, qui transmigre à travers le monde ; c’est le Purucha ou l’esprit des Sâm̃khyas. En dehors de ce principe, les Svâbhâvikas admettent l’existence de la Pradjñâ ou de la nature intelligente ; ne serait-ce pas, comme l’a déjà conjecturé M. Hodgson, le principe matériel des Sâm̃khyas[2] ? Avant de faire descendre la vie au sein des formes grossières, ils la supposent revêtant diverses qualités abstraites, qui créent pour elle une sorte de corps idéal, type du corps matériel et visible ; c’est là le Linga çarîra ou le corps des attributs, c’est-à-dire le corps subtil des Sâm̃khyas. Voilà, si j’en juge bien, autant de liens nouveaux par lesquels la philosophie des Buddhistes se rattache à celle des Brâhmanes ; mais il faut cependant avouer que la doctrine Sâm̃khya, et notamment la section de cette doctrine qui nie l’existence de Dieu, n’est reconnue par personne dans l’Inde pour rigoureusement orthodoxe.

J’ai plus d’une fois, dans le cours de cette analyse, rappelé les cinq Skandhas ou attributs, qui se réunissent quand a lieu le fait de la naissance. Ces Skandhas sont de véritables attributs sensibles et intellectuels, plus intellectuels même que sensibles ; et cela ne doit pas étonner, quand on songe à la tendance idéaliste du Buddhisme, tendance qui ressort à tout instant de l’évolution des causes productrices des êtres animés. C’est à l’état du principe pensant et sensible, une fois qu’il est né, c’est-à-dire à son état actuel, que se rapportent ces cinq attributs, qui sont : Rûpa, la forme ; Vêdanâ, la sensation ; Sam̃djñâ, l’idée ; Samskâra, les concepts ; et Vidjñâna, la connaissance. De ces cinq attributs, quatre ont déjà paru dans l’énumération des douze causes que j’ai faite tout à l’heure ; je n’y reviens ici que pour dire que ces cinq attributs ne sont plus des qualités abstraites, comme plus haut, mais des attributs réels du sujet vivant.

  1. Colebrooke, Miscell. Essays, t. I, p. 391.
  2. Europ. Specul. on Buddh., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. III, p. 428.