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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

— C’est un mal, respectable Guptika. — Mais, respectables personnages, ce qui est passager, ce qui est un mal, ce qui est sujet au changement, est-ce de nature à inspirer à un Auditeur respectable, qui est très-instruit, les sentiments suivants : Ceci est à moi ; ceci est moi ; ceci, c’est mon âme même ? — Nullement, respectable Guptika.

C’est pourquoi, respectables personnages, toute forme quelconque, qu’elle soit passée, future ou présente, qu’elle soit intérieure ou extérieure, qu’elle soit grossière ou subtile, qu’elle soit mauvaise ou bonne, qu’elle soit éloignée ou rapprochée, toute forme, dis-je, doit être envisagée telle qu’elle est réellement, à l’aide de la parfaite sagesse qui doit nous faire dire : Ceci n’est pas à moi ; ceci n’est pas moi ; ceci, ce n’est pas mon âme même. Toute sensation, toute idée, tout concept, toute connaissance quelconque, qu’elle soit passée, future ou présente, qu’elle soit intérieure ou extérieure, qu’elle soit grossière ou subtile, qu’elle soit mauvaise ou bonne, qu’elle soit éloignée ou rapprochée, toute sensation, dis-je, doit être envisagée telle qu’elle est réellement, à l’aide de la parfaite sagesse qui doit nous faire dire : Ceci n’est pas à moi ; ceci n’est pas moi ; ceci, ce n’est pas mon âme même. L’Auditeur respectable, ayant beaucoup appris, ô respectables personnages, qui envisage ce sujet de cette manière, se dégoûte même de la forme ; il se dégoûte également de la perception, de l’idée, des concepts et de la connaissance ; et une fois qu’il est dégoûté de tout cela, il est détaché ; et quand une fois il est détaché, il est affranchi. Alors il a la vue affranchie de la science qui lui fait dire : L’existence est anéantie pour moi ; j’ai rempli les devoirs de la vie religieuse ; j’ai fait ce que j’avais à faire ; je ne verrai plus une nouvelle existence après celle-ci[1]. »

Si je ne me trompe pas en faisant à la théorie des causes et des effets l’application de ces textes, il faudrait probablement y voir l’origine d’une des opinions fondamentales de l’école des Yôgâtchâras, qui, suivant les commentateurs brâhmaniques, croyaient que tout est vide, hors le principe pensant dont ils admettaient l’existence et l’éternité[2]. Mais en même temps que l’énumération des causes et des effets suppose le sujet, suppose-t-elle également l’objet ? Je ne le pense pas, puisque le sujet se trompe à l’égard de l’objet en accordant à ce dernier une existence qu’il n’a réellement pas. Elle ne s’occupe que de ces deux termes, le monde et l’homme : le monde, qui n’existe que de la vaine existence que l’homme lui attribue dans son erreur ; l’homme, qui n’existe tel que nous le voyons que par suite de son ignorance sur le monde. Il est très-probable

  1. Avadâna çat., f. 238 a.
  2. Colebrooke, Miscell. Essays, t. I, p. 391.