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DU BUDDHISME INDIEN.

sent, ce sont les éléments grossiers, la terre, l’eau, le feu, le vent, parce qu’en se réunissant, ils constituent le corps. L’élément qui fait croître, c’est celui de l’espace (Âkâça), parce que c’est celui qui lui donne la place dont il a besoin. Voilà pourquoi ces éléments ont le nom de Dhâtu ; ce sont des Dhâtus, des contenants, parce qu’ils contiennent le principe prenant un nouveau corps[1]. »

Il faut passer maintenant à la cause de laquelle sort l’Upâdâna, mot que, faute d’expression plus précise, je traduis par conception.

Cette cause, qui est la cinquième, est Trichṇâ, la soif ou le désir. La signification de ce terme n’est pas douteuse. Le commentateur cité par M. Hodgson s’exprime ainsi à cet égard : « Ensuite naît dans le corps archétype le désir ou « l’amour mondain[2] ; » et les Brâhmanes qui réfutent les Buddhistes définissent ce désir de cette manière : « La soif est le désir de renouveler les sensations agréables, et celui d’éviter ce qui est désagréable[3]. » Ici encore le Buddhiste chinois a, du moins d’après Klaproth, attribué à la jeunesse de l’homme cette condition qui se produit à une époque certainement plus primitive de son existence[4]. Si en effet j’ai bien déterminé le mot précédent, si l’Upâdâna est la conception physique qui constitue l’existence de l’individu et le prépare à la naissance, la Trichṇâ est une condition de l’individu antérieure à la conception, ou de l’être archétype, suivant M. Hodgson ; ce qui ne rappelle pas mal le Linga çarîra, ou le corps composé de purs attributs, admis par l’école Sâm̃khya, et que semble définir le commentateur précité.

Constatons donc qu’à partir du désir, nous entrons dans une série de conditions qui sont envisagées indépendamment de tout sujet matériel, et qui forment l’enveloppe d’un sujet idéal. Il n’est pas facile à nos esprits européens (je ne parle après tout que pour moi) de se figurer des qualités sans substance et des attributs sans sujet ; moins facile encore de comprendre comment ces qualités peuvent former un individu idéal, qui sera plus tard un individu réel. Mais rien n’est plus familier aux Indiens que la réalisation et en quelque sorte la personnification d’entités absolues, détachées de l’être que nous sommes accoutumés à voir joint à ces entités ; et tous leurs systèmes de création ne sont que des passages plus ou moins directs, plus ou moins rapides de la qualité abstraite au sujet concret. Faisant donc, au terme qui nous occupe, l’application de ces remarques

  1. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 48 a et b, man. Soc. Asiat. Le commentateur nous apprend dans un autre endroit (f. 55 b) que ce passage est emprunté au Sûtra intitulé Garbha avakrânti (la descente du fœtus).
  2. Quotations, etc., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 79.
  3. Colebrooke, Miscell. Essays, t. I, p. 396.
  4. Foe koue ki, p. 287, note.