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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

passage qui montre avec quelque détail le mode dont s’opère l’acte que je crois être la conception, ou la prise de l’existence.

L’homme, ô Religieux, est formé de six éléments (Dhâtu). Cela résulte de cet axiome, que la réunion des six éléments est la cause de la descente du germe dans le sein de la mère. Car ces éléments sont les contenants (dhâ-tu) de la naissance, parce qu’ils l’engendrent, la nourrissent et la font croître. Or, ici l’élément qui engendre, c’est celui de la connaissance (ou de la conscience, Vidjnâna), parce qu’il est l’origine de la prise d’un nouveau corps. Les éléments qui nourris-

    un sens plus large et non restreint à l’état embryonique de l’homme. Je traduis d’abord upâdâna par cause matérielle. Ce terme a été pour moi un des plus difficiles ; cependant je crois que les endroits que je vais citer lui enlèveront un peu de son obscurité. Il est dit dans le Vêdânta sâra (éd. Frank, p. 5, l. 23 ; et p. 6, l. 1 et 2) que Tchâitanya (Brahma) est, par ses deux forces, nimitta et upâdâna, et on ajoute : comme l’araignée, par rapport à sa toile, est nimitta par sa nature et upâdâna par son corps. Windischmann, sur Çam̃kara, interprète (p. 19, sur le çloka 12 de la sixième page) upâdâna par causa materialis, en alléguant d’autres exemples. Dans toute la Mîmâm̃sâ ce mot a la même signification, et je me borne à citer un passage qui en donne une définition complète et très-satisfaisante (Mâdhaviya Djâimini nyâya mâlâ vistara, f. 58 b de votre manuscrit) : Ananuchṭhitasya anuchṭhânam upâdânam, c’est-à-dire : Upâdâna est l’attachement à ce qui est sans attachement, à ce qui est primitif. Mais ce qui peut servir de point d’attachement sans en avoir, sans avoir de cause, doit être, si je peux m’exprimer ainsi, palpable, par conséquent matériel ; c’est donc la cause visible. Et par excès de clarté (ce qui n’arrive pas souvent aux çlôkas de Mâdhava et au commentaire qu’il en a donné lui-même), l’auteur ajoute : Tatchtcha karmavichayaḥ purucha vyâpâraḥ : Et ceci se trouve, se dit d’un objet, et devient la besogne de l’homme. Cela est dit par opposition à vidâna qui est apravrĭtta pravartanam et purucha vichayaḥ rabda vyâpâraḥ. Il termine par : Iti mahân bhêdah. D’autres endroits sont parfaitement conformes à cette explication, qui enlève tout doute sur la signification à upâdâna. L’étymologie de ce mot me paraît également la donner, en exprimant l’objet qu’on peut saisir, âda (et qui par conséquent est matériel), mais qui est l’upa des sens, c’est-à-dire qui est la base, la cause ; c’est-à-dire encore, la cause saisissable, matérielle. Si je conserve cette explication, le mot Skandha perd aussi de ses ténèbres ; car je serais tenté de le prendre dans son sens primitif duquel les autres sens d’agrégat, d’accumulation, etc., dérivent. Je traduis Skandka par épaule, et Upâdâna skandha est un tatpurucha de la façon de ceux que Pâṇini décrit (II, I, 36), où le thème Upâdâna est pour le datif du mot décliné. Du sens, épaule pour les causes matérielles, on dérive : ce en quoi reposent les causes matérielles, ce par quoi elles deviennent connaissables. De cette manière, je me conforme parfaitement au commentateur que vous citez, p. 423, note ; et l’explication des Upâdâna skandhas par rûpa, etc., suivant que l’on les saisit par le corps ou par l’esprit, devient tout à fait claire. Je demanderai même si ce mot Skandha, dans son acception d’agrégat ou de cause (comme dit le commentateur, p. 423), ne doit pas faire nécessairement partie d’un composé. C’est sous cette condition seulement que ce sens me paraît justifiable. Quant à moi, je ne me rappelle pas de l’avoir rencontré seul dans cette acception ; et celle du verbe skandh (accumuler) est, comme l’indique sa conjugaison et le Dhâtupâṭha de Westergaard, très-probablement une formation dénominative faite quand on avait oublié la raison de l’application. Je crois donc que les Upâdâna skandhas sont les bases des causes visibles qui répondraient aux éléments invisibles des Brâhmanes, comme l’existence réelle suppose les éléments visibles. Ainsi, pour les Buddhistes, le Bhava a pour cause les éléments invisibles, ou la base des causes visibles. » Étant peu familiarisé avec la doctrine de la Mîmâm̃sâ, je ne possède pas les éléments nécessaires pour discuter cette opinion ; quelque ingénieuse qu’elle me paraisse, elle n’est pas encore assez démontrée à mes yeux pour m’engager à modifier à ce point mon interprétation.