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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

telle que l’ont faite, d’après la théorie de la transmigration, les actions antérieures. Ce n’est pas seulement l’existence matérielle ou l’existence spirituelle, c’est encore et surtout l’être moral que ce terme désigne ; et ce point est d’autant plus nécessaire à établir, que c’est un de ceux par lesquels la théorie buddhique des causes et effets se rattache à la théorie, à la fois brâhmanique et buddhique, de la transmigration. On voit maintenant de quelle manière il faut élargir la notion d’existence ; et ce mot peut être donné comme un exemple des difficultés qu’on rencontre à traduire, dans nos langues modernes, des expressions aussi compréhensives. L’existence donc une fois bien déterminée, il faut remonter à sa cause, qui est Upâdâna ou la conception[1].

Cette cause est la quatrième condition toujours en remontant. Elle se nomme Upâdâna, la prise, la caption, l’attachement, la conception. J’ignore pourquoi Csoma de Cörös a toujours écrit ce terme Upâdâna, en le traduisant par privation, ablation[2]. Les interprètes tibétains le rendent non pas seulement par len-pa, comme le Vocabulaire pentaglotte, mais par ñê-bar len-pa, expression que j’ai trouvée dans le morceau précédemment cité de la Pradjñâ pâramitâ, lorsqu’il a été question des cinq attributs de la conception[3]. Ces cinq attributs sont les Skandhas, dont j’ai promis de parler bientôt lorsque j’aurai terminé l’exposition des causes et des effets : la prise ou la conception est l’Upâdâna même dont il s’agit ici. L’expression par laquelle les interprètes tibétains rendent ce terme difficile manque dans les dictionnaires de Csoma et de M. Schmidt ; elle ne se trouve que dans celui de Schröter, qui est, quoi qu’on en puisse dire, très-riche en renseignements précieux. Là le terme qui représente Upâdâna skandha, savoir ñer-len-gyi phung-po, est engagé dans une phrase que l’éditeur de Schröter a traduite ainsi : « le trouble ou la peine naissant de la transmigration[4]. » Je crois que le mot de transmigration n’est pas exact, mais il nous conduit certainement bien près du sens qu’attribuent au terme original des autorités buddhiques très-respectables. Ainsi un texte cité par M. Hodgson définit ainsi l’Upâdâna : « l’existence physique de l’embryon, » ce qu’un commentateur détermine ainsi : « la conception du corps[5]. » Les Brâhmanes, adversaires des Buddhistes, définissent comme il suit ce terme :

  1. Suivant M. Goldstuecker, Bhava est l’existence virtuelle, l’existence en puissance, qui est comparable à la δύναμις (dunamis) d’Aristote, comme Djâti l’est à son ἐνέργεια (energeia).
  2. Analysis of the Kah-gyur, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. I, p. 377 ; et Analys. of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, p. 398 et 399. Conf. Vocab. pent., sect. xxii, n° 9.
  3. Ci-dessus, p. 423, note.
  4. Bhotanta Diction., p. 117, col. 1.
  5. Hodgson, Quotat., etc., dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 78.