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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

n’est pas une différence. D’autre part, quand on prononce le nom de connaissance, on ne fait pas le compte de deux choses. C’est ainsi que le Bôdhisattva, ô Bhagavat, qui réfléchit de toutes ces manières sur toutes les conditions conformément à la Perfection de la sagesse, ne conçoit pas dans ce moment même la forme, il ne la saisit pas, il ne reconnaît pas la production de la forme, il n’en reconnaît pas la cessation ; [etc. comme ci-dessus, jusqu’à :] d’autre part, quand on prononce le nom de connaissance, on ne fait pas le compte de deux choses. »

Plus d’un lecteur trouvera peut-être que j’aurais pu me dispenser d’extraire un aussi long passage, et qu’au lieu de donner ce fragment bizarre, j’aurais pu en présenter le résumé du premier coup et à peu près en ces termes : Les livres de la Pradjñâ pâramitâ sont consacrés à l’exposition d’une doctrine dont le but est d’établir que l’objet à connaître ou la Perfection de la sagesse n’a pas plus d’existence réelle que le sujet qui doit connaître ou le Bôdhisattva, ni que le sujet qui connaît ou le Buddha. Telle est en effet la tendance commune de toutes les rédactions de la Pradjñâ ; quelle que soit la différence des développements et des circonlocutions dont s’enveloppe la pensée fondamentale, toutes aboutissent à la négation égale du sujet et de l’objet. Mais je prie le lecteur de remarquer qu’il s’agit moins ici d’exposer dans tous ses détails la métaphysique de la Pradjñâ que de déterminer, autant que cela est possible, la place que ce recueil occupe dans l’ensemble des livres du Népâl. Or il n’est personne qui après la lecture d’une portion du passage précité, ne puisse aussitôt apprécier la distance qui sépare la métaphysique des Sûtras de celle de la Pradjñâ. Il est clair que dans ce dernier ouvrage la doctrine est parvenue à tous ses développements, jusqu’à ne pas reculer devant l’absurdité de ses conclusions ; tandis que dans les Sûtras la métaphysique, engagée d’ordinaire dans la morale, en est encore à ses premiers essais. Aussi douté-je fort que dans aucun Sûtra (je parle de ceux que je crois les plus anciens), il fût possible de rencontrer une proposition comme celle-ci : « Le nom de Buddha n’est qu’un mot, » et comme celle-ci : « Le Buddha lui-même, ô respectable Subhûti, est semblable à une illusion, les conditions du Buddha elles-mêmes sont semblables à une illusion, semblables à un songe[1]. » La spéculation peut, sans doute, arriver par une suite de raisonnements jusqu’à la négation du sujet considéré sous sa forme la plus élevée ; mais il est difficile de croire que Çâkyamuni fût devenu le chef d’une réunion d’ascètes destinée plus tard à former un

  1. Vinaya sûtra, f. 136 b, d’après la Pradjñâ pâramitâ.