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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


il baigna l’arbre avec l’eau de quatre mille vases. Et à peine l’arbre eut-il été ainsi arrosé, qu’il redevint tel qu’il était autrefois. Il y a un texte qui dit :

« À peine le roi des hommes eut-il donné à l’arbre Bôdhi cet excellent bain, que l’arbre se couvrit d’un tendre et vert feuillage ; à la vue des feuilles vertes qui le paraient, et de ses tendres bourgeons, le roi éprouva une joie extrême, ainsi que la foule de ses ministres qui l’entouraient.

Quand le roi eut donné le bain à l’arbre Bôdhi, il se mit en devoir d’introduire l’Assemblée des Religieux [dans son palais]. En ce moment, le Sthavira Yaças lui adressa ces paroles : Grand roi, la nombreuse Assemblée d’Âryas qui est rassemblée ici est digne des plus grand respects ; il faut l’introduire de manière à ne lui faire aucun tort. C’est pourquoi le roi introduisit lui-même les Religieux de sa propre main, et jusqu’au dernier[1].

Il y avait là deux Çrâmaṇêras, qui se livraient à un échange mutuel de bons offices[2]. Si l’un donnait à son compagnon de la farine, l’autre lui en donnait aussi ; et ils échangeaient de cette manière les aliments et les douceurs. Le roi, en les voyant, se mit à rire : Voilà, se dit-il, des Çrâmaṇêras qui jouent à un jeu d’enfants. Cependant, quand le roi eut introduit l’Assemblée des Religieux tout entière, il alla s’asseoir à la place d’honneur. En ce moment, il reçut cet avertissement du Sthavira : Le roi n’a-t-il pas commis par inattention quelque inadvertance ? Aucune, répondit le roi. Cependant il y a là-bas deux Çrâmaṇêras qui s’amusent à un jeu d’enfants, semblables à des petits garçons qui jouent dans la poussière. Ces Çrâmanêras s’amusent avec de la farine, des aliments et des douceurs. Assez, repartit le Sthavira ; ce sont deux Arhats qui se cèdent chacun leur part avec un égal détachement. À ces mots, Açôka, le cœur rempli de joie, conçut cette pensée : Quand j’aurai abordé ces deux Çrâmaṇêras, je donnerai à l’Assemblée des Religieux assez d’étoffe pour qu’elle se vête. Les deux Çrâma-

  1. Je traduis ainsi, par conjecture, le mot navakânta ; il me semble que ce doit être l’opposé de vrĭddhânta, qui se trouve une ligne plus bas dans notre légende, et qui se représente assez fréquemment ailleurs, toujours avec le sens de : « la place de l’ancien, la première place. » Le vrĭddhânta signifie en effet, comme je le crois, « la limite du vieillard, » le terme auquel atteint le vieillard, et par extension « la place d’honneur. » Le mot navakânta doit signifier « la limite du nouveau, » le bas bout.
  2. Voici encore une expression assez peu claire : sam̃rañdjanîyam dharmam samâdâya vartalaḥ. Ce passage pourrait aussi bien signifier « ils se trouvaient avoir reçu la Loi qui inspire l’affection. » Mais le préfixe sam de l’adjectif sam̃rañdjanîya me semble exprimer une idée de réciprocité qui décide du sens. Le radical rañdj, ainsi que mud, est employé dans nos légendes du Nord, comme dans le pâli du Sud, avec le sens spécial de « plaire, être gracieux » dans un entretien ; et quand deux personnages se rencontrent, c’est de termes dérivés de ces radicaux qu’on se sert, comme rañdjani et sam̃môdanî, pour exprimer la manière dont ils ouvrent leur entretien.