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DU BUDDHISME INDIEN.

sa femme. Qui t’a donc appris le métier de barbier ? dit le roi. — Ce sont les femmes des appartements intérieurs. Je ne veux plus, dit Bindusâra, que tu fasses à l’avenir ce métier. Enfin elle fut reconnue par le roi pour la première de ses femmes[1].

Le roi eut alors commerce avec la jeune fille ; il se divertit avec elle, avec elle il se livra au plaisir et à la volupté. La reine devint enceinte et accoucha au bout de huit ou neuf mois ; elle mit au monde un fils. Quand on eut célébré magnifiquement la fête de la naissance, on se demanda : Quel sera le nom de l’enfant ? La reine dit alors : À la naissance de cet enfant, je n’ai pas éprouvé de chagrin (açôkâ) ; en conséquence on donna à l’enfant le nom d’Açôka (sans chagrin). Plus tard elle mit au monde un second fils ; comme il naquit sans que la reine éprouvât de douleur, on lui donna le nom de Vigatâçôka (celui duquel le chagrin est éloigné)[2].

Açôka avait les membres rudes au toucher ; il ne plaisait pas au roi Bindusâra. Un jour le roi désirant mettre ses fils à l’épreuve, fit venir le mendiant Pingala vatsâdjiva et lui dit : Mettons, ô maître, ces enfants à l’épreuve, afin de connaître lequel sera capable d’être roi quand je ne serai plus. Le mendiant Pingala vatsâdjîva répondit : Conduis, ô roi, tes fils dans le jardin où est le Maṇḍapa d’or, et là mettons-les à l’épreuve. Le roi prit ses fils avec lui et se rendit dans le jardin où était le Maṇḍapa d’or. Cependant la reine dit au jeune Açôka : Le roi, qui veut mettre à l’épreuve ses enfants, est parti pour le jardin où est le Maṇḍapa d’or ; il faut que tu y ailles aussi. Je ne plais pas au roi, reprit Açôka ; il ne veut pas même me voir ; à quoi bon irais-je là ? Vas-y cependant, répliqua sa mère. Açôka lui dit alors : Envoie devant de la nourriture. Açôka sortit donc de Pâtaliputtra. Râdhagupta, le fils du premier ministre, lui dit alors : Açôka, où vas-tu ainsi ? Le roi, répondit Açôka, va aujourd’hui mettre ses fils à l’épreuve dans le jardin du Maṇḍapa d’or. Il y avait là un vieil éléphant qui avait été monté par le roi[3]. Açôka se servit de ce vieil animal pour se rendre au jardin du Maṇḍapa d’or, descendit au milieu des enfants et s’assit par terre. On offrit alors de la nourriture aux enfants ; la

  1. Une partie de ce morceau a déjà été citée ci-dessus, Sect. II, p. 132, à l’occasion des préjugés de la caste royale. J’ai cru que je pourrais sans grand inconvénient le reproduire ici, parce qu’il est indispensable pour l’intelligence de la suite de la légende.
  2. Nous apprenons, par un autre passage de la légende d’Açôka, que cet enfant se nommait aussi Vitâçôka, nom qui a le même sens que celui de Vigatâçôka.
  3. Le mot que je traduis par vieux est, dans le texte, mahallaka ; il est douteux que ce terme soit sanscrit ; du moins le mahallaka du Dictionnaire de Wilson, qui signifie eunuque, paraît être d’origine arabe. Ce qui m’engage à traduire le mot mahallaka par vieux, c’est que je l’ai trouvé dans le Lotus de la bonne Loi, employé comme synonyme de vrǐddha, et faisant partie de quelques énumérations de qualités relatives à des vieillards.