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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

d’un Buddha. Il est important de ne pas confondre le mot Bôdhi avec celui de Buddhi. Ce dernier, qui appartient à la langue des Buddhistes comme à celle des Brâhmanes, désigne l’intelligence ou la faculté avec laquelle l’homme connaît. Le premier, qui est fort rare dans le sanscrit brâhmanique, si même il y est employé, désigne, d’après Wilson, non-seulement l’intelligence, mais encore « l’acte de tenir son esprit éveillé pour la connaissance du vrai Dieu[1] ; » c’est une branche des connaissances sacrées. Dans le style buddhique, au contraire, Bôdhi désigne à la fois et l’état d’un Buddha, et l’intelligence d’un Buddha, ce qui revient d’ailleurs au même, puisque l’état propre d’un Buddha, c’est-à-dire d’un être éclairé, est d’être intelligent et omniscient. Cependant comme on s’occupe souvent, dans les textes du Népâl, de la science des Buddhas, Buddha djnâna, laquelle n’est que la connaissance acquise à l’aide de moyens humains agrandis par l’effet d’une puissance surnaturelle, j’ai cru que le terme de Bôdhi était, comme celui de Nirvâṇa, un de ces mots qu’il faut conserver, sauf les cas où sa signification est parfaitement déterminée, et je l’ai représenté, dans le Lotus de la bonne loi et dans le présent travail, tantôt par « l’Intelligence ou la Bôdhi, » tantôt par « l’état de Bôdhi. »

Ces traductions ont ici l’avantage de ne rien préjuger sur l’application qu’on fait de ce terme aux deux classes d’êtres qui suivent les Arhats, savoir les Çrâvakas et les Pratyêka Buddhas. Le texte que nous examinons en ce moment nous montre en effet plusieurs des assistants de l’Assemblée où enseigne Çâkya, concevant l’idée de la Bôdhi des Çrâvakas. Or comme les Çrâvakas sont les Auditeurs du Buddha, et que tous les Religieux qui font partie de l’Assemblée ont, à ce qu’il paraît du moins, droit à ce titre, il en résulte qu’un simple Religieux, s’il est heureusement doué, peut parvenir à la Bôdhi, qui est cependant le partage d’un Buddha. C’est sans doute à des Auditeurs parvenus à ce haut degré de savoir que s’applique la dénomination de Mahâ Çrâvakas ou grands Auditeurs, qu’emploient les Sûtras et les Avadânas ; et j’ajoute que ce titre coïncide quelquefois avec celui de Sthavira ou de vieillard, quand ces Auditeurs sont réellement les plus âgés de l’Assemblée. Mais de ce que ces Auditeurs privilégiés par la grâce ou par leurs vertus antérieures atteignent à l’intelligence d’un Buddha, faut-il conclure qu’il y a une classe de Buddhas qu’on pourrait nommer les Çrâvaka Buddhas ? Je ne le pense pas, ou du moins les textes qui sont à ma disposition n’autorisent pas une supposition de ce genre. Selon moi la Bôdhi d’un Çrâvaka est la science la plus haute à laquelle un Auditeur puisse parvenir ; mais cet Auditeur ne sort pas pour cela de la classe à

  1. Sanscr. Dictionn., s. v. p. 606, 2e édit.