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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


que des ascètes isolés, et on ne soupçonne pas encore, à s’en tenir au texte des plus anciennes légendes, la possibilité d’une organisation qui devait réunir entre eux par un lien durable tous ces Religieux, qui ne se rassemblaient que pour entendre la parole du Maître.

Diverses circonstances, rapportées par les légendes et par les Sûtras, nous permettent cependant de saisir les commencements de cette organisation. Tant que vécut Çâkya, il était naturel que ceux qu’il avait convertis s’attachassent à sa personne pour profiter de son enseignement. Tous les Religieux ne se fixaient pas pour toujours dans la solitude ; et ceux mêmes qui avaient choisi ce genre de vie l’abandonnaient de temps en temps, afin de venir entendre le Buddha. Aussi les légendes nous montrent-elles Çâkya toujours suivi d’un nombre plus ou moins considérable de Religieux, qui l’accompagnaient et mendiaient derrière lui. Quand venait la saison des pluies, c’est-à-dire quand les communications entre les campagnes et les villes étaient, sinon tout à fait interrompues, du moins plus difficiles, les Religieux pouvaient cesser la vie vagabonde des mendiants. Il leur était permis de se retirer dans des demeures fixes ; et alors ils se dispersaient et allaient chacun de leur côté, résider chez les Brâhmanes ou les maîtres de maison qu’ils savaient leur être favorables. Là ils s’occupaient à répandre par la parole la connaissance des vérités dont se composait leur croyance, ou encore à méditer et à étudier les points de la doctrine qui leur étaient le moins connus. Cela s’appelait « séjourner pendant le Varcha, Varcha vasana, c’est-à-dire pendant les quatre mois que dure dans l’Inde la saison pluvieuse[1]. Quand le Varcha était expiré, ils devaient se

    des plus remarquables du Buddhisme ; je ne doute pas qu’elle n’appartienne aux premiers âges de cette croyance. L’Ami de la vertu est celui qui introduit le disciple futur auprès du Maître ; c’est aussi le Religieux accompli qui donne au novice l’instruction qui lui manque encore : c’est même, pour un Religieux, tout ascète respectable dont il doit rechercher la société. On trouve ce titre fréquemment cité dans les légendes avec cette dernière acception (Avad. çat., f. 34 b, 87 a et b) ; on le voit même opposé à celui de Pâpa mitra, « ami du péché. » (Ibid., f. 87 a et b. Bkah-hgyur, sect. Mdo, vol. ha ou XXIX, f. 155 a.) Ce terme fournit un nouvel exemple de l’inconvénient qu’il y aurait quelquefois à s’en tenir aux énoncés des versions tibétaines, sans remonter aux originaux sanscrits. Les Tibétains traduisent exactement Kalyâṇa mitra par dge-bahi bches-gñen, suivant Csoma, « a friend to virtue, a priest ; » c’est exactement aussi la traduction que donne M. Schmidt par « ein Freund der Tugend, ein Priester. » Csoma le traduit encore par « a doctor, a learned priest, » et M. Schmidt par « ein geistlicher Rath. » Je n’hésite pas à préférer cette dernière traduction à toutes les autres ; l’Ami de la vertu est certainement un véritable directeur spirituel ; mais ce n’est pas pour cela un prêtre ; au contraire, tout prêtre (si toutefois ce terme est exact) peut être un ami vertueux ; en un mot, il n’existe pas dans la hiérarchie buddhique un ordre de Kalyâṇa mitras, comme il y en a un de Bhikchus.

  1. Cette institution du Varcha est certainement une des plus anciennes du Buddhisme ; car on la retrouve chez tous les peuples qui ont adopté cette croyance, chez ceux du Sud comme chez ceux du Nord. M. Turnour définit ainsi le mot vassa (pâli pour varcha) : « les quatre mois de la