les assistants, et plus tard les véritables dévots, s’ils emportent de la prédication de Çâkya les germes des vertus que son enseignement a pour but de propager. Cette explication si naturelle a d’ailleurs pour elle des faits d’une grande valeur ; nous verrons bientôt que les vues de Çâkya, ou peut-être de ses premiers successeurs, se portèrent au delà du cercle de ses disciples, et qu’en promettant pour l’avenir des récompenses de divers ordres à ceux qui, sans être ses adeptes, se pénétraient plus ou moins intimement de sa parole, il se créa parmi ceux de ses auditeurs qui ne pouvaient ou ne voulaient pas devenir Religieux des partisans et des dévots véritables.
Les Religieux seuls n’en formaient pas moins, ainsi que je l’ai déjà indiqué, l’Assemblée des auditeurs de Çâkya ; voilà pourquoi on trouve dans les textes cette Assemblée nommée Bhikchu sam̃gha[1], « la réunion des mendiants. »
- ↑ Il ne peut maintenant subsister aucun doute quant à l’orthographe de ce terme ; des inscriptions, comme celle d’Amarâvati et de Santchî (Journ. As. Soc. of Bengal, t. VI, p. 222 et 455), et nos manuscrits, le représentent toujours comme je le fais : Sam̃gha (संघ), mot qui a le sens de multitude, foule de peuple. Cette signification convient parfaitement à la nature de l’Assemblée des Religieux de Çâkya, laquelle était composée d’hommes sortis de toutes les castes. Je ne crois pas que l’orthographe de sam̃ga soit très-fréquente, si même elle est jamais usitée dans nos manuscrits. M. G. de Humboldt a préféré celle de Sanga (संग), qu’avaient adoptée Hodgson et Rémusat, à celle de Sangha (संघ) que donnent Schmidt et Wilson (Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 273, note 1) ; mais à l’époque où ce savant écrivait, on ne possédait pas encore en Europe les manuscrits qui sont entre mes mains. On verra suffisamment par mon texte pourquoi je ne puis admettre les explications philosophiques dont ce savant accompagne le terme de Sam̃gha. « La réunion nommée Sanga, dit-il, n’est dans le principe aucunement terrestre, et elle comprend les Bôdhisattvas, les Pratyêkas et les Çrâvakas, qui sont déjà sortis du monde. Cette réunion cependant, par suite de l’application ordinaire des choses célestes aux choses terrestres, est devenue la base de la hiérarchie buddhique….. Enfin ce terme a été nettement appliqué à la réunion des sectateurs du Buddha, vivant ensemble et avec leur maître dans les cloîtres nommés Vihâras. » (Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 273.) Je pense, pour ma part, que les choses ont dû se passer dans l’ordre inverse ; que la signification primitive du mot Sam̃gha a été celle de « réunion des Auditeurs ; » que cette réunion a été parfaitement réelle et humaine, aussi humaine qu’aucune autre assemblée de disciples suivant un maître ; que quand les idées mystiques de triade, de sexes et autres, que je regarde comme inspirées aux Buddhistes du Nord par le voisinage des Brâhmanes, se sont introduites dans le système primitivement très-simple fondé par Çâkya, on a fait de ce terme parfaitement historique une application idéale à la réunion céleste des personnages les plus élevés dans la hiérarchie philosophique et morale du Buddhisme. C’est là du moins ce que la lecture des Sûtras et des légendes m’autorise à croire ; mais je crains que cette opinion trouve peu de faveur auprès des personnes qui ont sur l’origine et le développement des croyances religieuses en général et du Buddhisme en particulier des idées dont j’avoue humblement ne pas saisir tout à fait le sens. Au reste, cette observation, qui m’est suggérée par le sentiment de défiance que j’éprouve chaque fois que je m’éloigne des opinions d’un homme comme M. de Humboldt, s’applique à bien d’autres idées et à bien d’autres termes que celui qui nous occupe. Le présent volume tout entier est consacré à mettre en relief le caractère purement humain du Buddhisme ; je ne puis donc croire ici, pas plus qu’ailleurs, que cette croyance soit l’expression de je ne sais quels types divins que je ne trouve nulle part, du moins dans les textes que je tiens pour les plus rapprochés de la prédication de Çâkya.