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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

vain nom. Mahêçvara le Yakcha lui répondit : Cette forêt de santal Gôçîrcha, ô respectable, est réservée pour un roi Tchakravartin. Lequel crois-tu qui vaut le mieux, reprit Pûrṇa, d’un roi Tchakravartin, ou d’un Tathâgata parfaitement et complètement Buddha ? Serait-ce, ô Ârya, que Bhagavat est né dans le monde ? S’il est ainsi, que ce qui n’était pas accompli le soit ! Alors les marchands recouvrant la vie qui était sur le point de les abandonner, après avoir dirigé avec foi leur pensée sur le respectable Pûrṇa, remplirent leur vaisseau du santal de l’espèce Gôçîrcha, et reprirent leur voyage. Ils revinrent enfin à la ville de Sûrpâraka.

Là le respectable Pûrṇa dit à son frère : Tout ceci doit revenir à celui au nom duquel ton vaisseau a été ramené sain et sauf ; partage donc ces joyaux entre les marchands ; moi, avec ce santal, je ferai construire pour l’usage de Bhagavat un palais orné de guirlandes de bois de santal. Le frère aîné fit en conséquence le partage de ses joyaux entre les marchands ; puis le respectable Pûrṇa se mit à faire construire un Vihâra avec le bois de santal. Ayant donc appelé les architectes, il leur dit : Lequel préférez-vous, seigneurs, de recevoir par jour cinq cents Kârchâpaṇas, ou un Karcha de poudre du santal Gôçîrcha[1] ? Nous préférons un Karcha de poudre de santal, répondirent les architectes. Le palais orné de guirlandes de bois de santal fut achevé en très-peu de temps. Le roi dit alors [aux architectes] : Voilà un beau palais[2]. On nettoya l’édifice dans toutes ses parties. Les éclats de santal[3] [qu’on n’avait pas employés], et ce qui restait de la poudre [qu’on avait faite], fut pilé et donné dans le Vihâra, pour servir d’onguent.

« Cependant les frères avaient fini par se demander pardon les uns aux autres. [Pûrṇa leur dit :] Il faut que vous preniez votre repas, après y avoir invité le Buddha, l’Assemblée des Religieux et les autres personnages [dignes

  1. Le tibétain, au lieu d’un Karcha, dit phosum-khang, « plein trois Pho ; » mais le nom de cette dernière mesure ne se trouve ni dans Csoma ni dans Schmidt. Serait-ce l’abréviation du mot phon, « paquet ? » Quoi qu’il en soit, comme un Karcha égale 16 Mâchas, dont chacun vaut cinq Krĭchṇalas, ou 10 15/16 grains troy anglais, le Karcha représente 175 grains troy, c’est-à-dire 11,375 grammes français. On peut voir par là quel prix on attachait au bois de santal, puisque les architectes aimaient mieux en recevoir un peu plus de onze grammes qu’une somme équivalant environ à 28 fr. 45 centimes. En supposant les deux payements à peu près égaux, le gramme de santal aurait valu 2 francs 50 centimes.
  2. Cette phrase manque dans la version tibétaine, et il se pourrait qu’elle fût une interpolation due au copiste, qui aura pris, quelques lignes plus bas, les mots râdjâ kathayati bhavantaḥ çôbhhanam. Cependant, comme cette phrase se trouve dans mes deux manuscrits, je n’ai pas cru devoir l’omettre.
  3. Le texte se sert d’un mot que je n’ai pas vu ailleurs, yat taira sam̃kalikâ. Le sens de ce terme est ainsi exprimé par la version tibétaine : de-na jogs-ma, ce qui signifie peut-être « les rebuts qui s’y trouvaient. »