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DU BUDDHISME INDIEN.

loppés. Je n’oserais être aussi explicite à l’égard de la rédaction en prose ; le manuscrit en est si incorrect, que je ne puis dire si les fautes choquantes dont il est déparé ne cachent pas quelques formes pâlies ou prâcrites. La vérité est que j’en ai reconnu au plus quatre, que je rapporte en note[1] ; mais ces formes sont tout à fait caractéristiques, et elles appartiennent à la même influence que celles qui se font remarquer, par exemple, dans le Lotus de la bonne loi. Elles ne me paraissent cependant ni assez nombreuses, ni assez importantes, pour marquer au Karaṇḍa vyûha sa place parmi les ouvrages buddhiques auxquels le mélange du pâli et du sanscrit donne un caractère si reconnaissable. Si, comme d’autres indices qui seront relevés tout à l’heure nous autorisent à le croire, le Karaṇḍa en prose n’appartient pas à la prédication même de Çâkyamuni, ces formes, d’ailleurs peu nombreuses, perdent beaucoup de leur importance ; et si elles se montrent dans un livre que d’autres caractères éloignent de la catégorie des Sûtras primitifs, c’est uniquement par l’influence qu’a dû exercer sur l’auteur de ce livre la lecture des traités où de pareilles formes sont employées presque à chaque ligne.

En même temps que le style du Karaṇḍa poétique est celui des Puraṇas, la forme extérieure et le cadre de l’ouvrage rappellent également les compilations indiennes que je viens de citer. Ici, comme dans les Purânas, le récit ne se présente pas au lecteur directement et sans préambule ; il ne lui arrive au contraire que par l’intermédiaire de narrateurs nombreux, qui le tiennent l’un de l’autre ; et ce n’est qu’après avoir franchi ces intermédiaires qu’on parvient jusqu’à Çâkyamuni, le narrateur primitif, ou plutôt le révélateur sacré. C’est là un des traits les plus importants qui distinguent le poëme de la rédaction en prose. Cette dernière commence comme tous les Sûtras : « Voici ce qui a été entendu par moi : Un jour Bhagavat se trouvait dans la grande ville de Çrâvasti, à Djêtavana, dans le jardin d’Anâtha piṇḍika, avec une grande assemblée de Religieux, avec douze cent cinquante Religieux et beaucoup de Bôdhisattvas, etc. » Je conclus de cette différence que le poëme est postérieur au Sûtra en prose ; car quoique rien ne nous apprenne les motifs qui ont engagé le narrateur à faire précéder le Sûtra proprement dit par ces deux dialogues entre Açôka et Upagupta d’une part, et Djayaçrî et Djinaçrî de l’autre, l’addition de tout cet appareil imité de la tradition est encore plus facile à comprendre que ne le serait le retranchement de ces dialogues, s’ils

  1. Voici les seules traces de formes pâlies que j’aie rencontrées dans le Karaṇḍa vyûha en prose : sântaḥpura parivârêhi au lieu de parivârâiḥ, f. 20 a ; paramâṇuradjasya au lieu de radjasah, f. 23 a ; djîvanta pour djîvan, f. 25 b ; vichkam̃bhim (nom propre), au lieu de vichkam̃bhinam̃, f. 44 b.