Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/244

Cette page a été validée par deux contributeurs.
202
INTRODUCTION À L’HISTOIRE
 Les corrections sont expliquées en page de discussion


culte qu’il est nécessaire de rendre au saint Avalôkita, et sur les avantages qu’assure ce culte à ceux qui le pratiquent. Le premier de tous les narrateurs, Djayaçrî, après avoir terminé cette exposition qu’il tenait de son maître, ajoute encore quelques stances sur les avantages qui attendent celui qui lit ou qui écoute réciter ce Sûtra du Karaṇḍa vyûha, et le roi Djinaçrî exprime son approbation pour tout ce qu’il vient d’entendre. Le volume se termine au feuillet 195, par le titre ainsi conçu : « Fin du roi des Sûtras, nommé la Composition de la corbeille des qualités d’Avalôkitêçvara, exposée par Djayacrî au roi Djinaçrî qui l’interrogeait. »

Ce sujet assez médiocre est exposé en vers du mètre Anuchṭubh, et dans un sanscrit qui frappe par son extrême ressemblance avec celui des Puraṇas brâhmaniques. La langue en est correcte, et je n’y ai remarqué que deux mots qui attestent la présence d’un dialecte vulgaire dérivé du sanscrit. Ces mots, que je cite en note[1], sont tels qu’ils peuvent avoir été empruntés à d’autres ouvrages, d’où ils auront passé dans le Karaṇḍa vyûha ; ils ne suffisent pas pour caractériser la langue de ce poëme et pour en faire un dialecte, ou au moins un mélange de sanscrit et de prâcrit, semblable à celui qu’on remarque dans les Sûtras développés. Ce sont de simples emprunts, qui s’expliquent par l’usage extrêmement fréquent qu’on fait de ces mots dans les livres réputés canoniques. On peut donc tenir pour certain que le Karaṇḍa vyûha est une composition qu’on doit, quant au langage, appeler classique, par opposition aux autres livres avec lesquels il partage le titre de Sûtra ; et ce n’est pas une des moindres différences qui distinguent cet ouvrage des autres Sûtras déve-

    « qui a regardé en bas. » Il est évident qu’ils donnent au participe non le sens passif (regardé), mais le sens actif (qui a regardé). Je ne crois pas que cet emploi du participe en ta, lequel est positivement autorisé par Pâṇini, quand il s’agit d’une action commençante (l. III, (c. iv, p. 71 et 72), puisse être admis dans le sanscrit classique pour le radical lôk. Mais ce ne serait pas la première fois que la langue des livres buddhiques s’éloignerait de celle des compositions brâhmaniques. Il n’est pas douteux que les peuples orientaux, qui ont connu le nom d’Avalôkitêçvara et qui ont eu à le traduire dans leurs idiomes, n’aient assigné à la première des parties dont il se compose le sens actif que je signale ici. Klaproth a, dans une dissertation spéciale, mis le fait hors de doute relativement aux Tibétains et aux Mongols (Nouv. Journ. Asiat., t. VII, p. 190), et M. Rémusat l’a également établi plus d’une fois en ce qui touche les Chinois. (Foe koue ki, p, 56, 117 et 119.)

  1. Ces mots sont les formes suivantes de l’adjectif tâyin (protecteur) pour le sanscrit trâyin, qui a perdu son r, d’après le principe du pâli ; savoir, tâyinê, dat. sing. f. 19 a ; tâyninâm, gén. plur. f. 80 a et 179 a ; puis le terme pôchadha pour upôchatha, terme tout à fait pâli, qui désigne à la fois le jeûne imposé aux Religieux buddhistes et les six jours qui suivent la nouvelle lune. Ce terme, qui rappelle le sanscrit upôchaṇa (jeûne), est même plus altéré que le pâli, puisqu’il a perdu sa voyelle initiale, qui se conserve toujours, autant que je puis le croire, dans le pâli de Ceylan. La fréquente répétition de ce terme suffit pour expliquer comment il a pu subir une modification aussi forte.