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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

veilleux, fictions déjà connues en Europe, et très-fréquemment racontées par les rédacteurs des légendes du Népâl[1].

La Râkchasî aux mains de laquelle Sim̃hala vient d’échapper séduit le roi Sim̃hakêçarin, et pénètre dans ses appartements intérieurs. Secondée par les autres démons qu’elle appelle de l’île Tâmradvîpa, elle dévore le roi et sa famille. Sim̃hala, qui seul sait expliquer ce désastre, est proclamé roi ; et il prend la résolution d’aller anéantir les Râkchasîs de l’île, pour y répandre le culte des Trois objets précieux. Les démons se retirent dans une forêt ; et à partir de cet événement, le pays nommé autrefois Tâmradvîpa prend le nom de Sim̃haladvîpa. Çâkyamuni faisant alors l’application de cette histoire aux personnages qui sont ses contemporains, expose à ses auditeurs que c’est lui qui était le roi Sim̃hala, et que le cheval miraculeux auquel il dut son salut était le saint Avalôkitêçvara.

Çâkyamuni continue en faisant l’exposé des qualités corporelles du Bôdhisattva, exposé qui est purement mythologique. Dans chacun de ses pores s’élèvent des montagnes et des bois où habitent des Dieux et des sages, exclusivement livrés à la pratique de la religion. C’est, dit Çâkya, pour cette raison qu’on l’appelle Dharmakâya, « qui a pour corps la Loi. » Le Bôdhisattva Vichkambhin, avec lequel s’entretient Çâkyamuni, exprime le désir de voir ce spectacle merveilleux du corps d’Avalôkita. Mais Çâkya lui répond que tout cela est invisible, et que lui-même n’a pu parvenir à contempler ainsi le saint qu’après des efforts infiniment prolongés. Ce seigneur du monde, dit-il, est comme une apparition magique ; sa forme est subtile ; il n’a même réellement ni attributs, ni forme ; mais quand il en revêt une, c’est une forme immense, multiple et la plus grande de toutes ; ainsi il se montre avec onze têtes, cent mille mains, cent fois dix millions d’yeux, etc. Vichkambhin exprime ensuite le désir de connaître la formule magique de six lettres, Vidyâ chaḍakcharî, dont Çâkya exalte l’efficacité merveilleuse[2]. Çâkya renvoie Vichkambhin à Bénarès, où Avalôkitêçvara lui apparaît miraculeusement au milieu des airs, ordonnant au précepteur qu’il a choisi de communiquer à son élève la formule de six lettres. Avalôkitêçvara se fait voir ensuite d’une manière surnaturelle à

  1. La légende analysée dans mon texte se retrouve dans Hiuan thsang, d’où elle a été extraite par M. Landresse. (Foe koue ki, p. 338 et 339.)
  2. C’est la fameuse formule « Ôm̃ maṇi padmê hûm̃, » dont le saint Avalôkîtêçvara est réputé l’auteur. Aussi ne la rencontre-t-on ni dans les ouvrages, ni chez les peuples auxquels Avalôkitêçvara est inconnu, c’est-à-dire ni dans les Sûtras simples du Nord, ni dans ceux de Ceylan. M. Schmidt a bien vu qu’elle ne devait pas appartenir au Buddhisme primitif, puisqu’elle a pour auteur le Bôdhisattva Avalôkitêçvara. (Geschichte der Ost-Mongol, p. 319.) Mais plus tard il semble avoir voulu attribuer, au moins par conjecture, quelque influence à ce saint sur le Buddhisme