Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/219

Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
DU BUDDHISME INDIEN.


d’aussi misérables mendiants que Durâgata et d’autres se font Religieux[1]. » Paroles remarquables dont l’esprit a soutenu et propagé le Buddhisme, qu’il animait encore à Ceylan au commencement de notre siècle, lorsqu’un Religieux, disgracié par le roi pour avoir prêché devant la caste misérable et méprisée des Rhodias, lui répondait, presque comme eût fait le Buddha Çâkyamuni lui-même : « La religion devrait être le bien commun de tous[2]. »

On peut compter encore au nombre des causes qui devaient amener à Çâkya de nombreux prosélytes le despotisme des rois et la crainte qu’inspiraient leurs violences. La légende de Djyôtichka en fournit un exemple frappant. Djyôtichka était un personnage riche et qu’une puissance surnaturelle comblait d’une inépuisable prospérité. Le roi Adjâtaçatru fit plusieurs tentatives pour s’emparer de ses biens, mais aucune ne réussit. Ce furent autant d’avertissements pour Djyôtichka, qui forma dès lors le projet de se faire Religieux à la suite du Buddha, projet qu’il exécuta en distribuant aux pauvres tous ses biens[3].

Enfin, s’il en faut croire les légendes, la grandeur des récompenses que Çâkya promettait pour l’avenir à ceux qui embrassaient sa doctrine était la cause puissante des conversions les plus nombreuses et les plus rapides. Le

    prasâda est exprimée, si je ne me trompe, d’une manière parfaitement claire dans le passage suivant : « Le roi, en se promenant dans le jardin, vit le bienheureux Prabôdhana, ce Buddha parfaitement accompli, favorable, et fait pour qu’on recherche sa faveur, etc. » (Avad. çat., f. 41 b.) Les mots du texte sont prâsâdikam, prasâdanîyam, auxquels répondraient les deux mots latins propitium, propitiandum, et dont ma traduction ne donne qu’un commentaire bien faible à côté de la belle concision de l’original. Je crois que la traduction tibétaine mdzes-ching, dgah-bar mdzad, c’est-à-dire « gracieux, fait pour réjouir, » ne rend que d’une manière imparfaite le sens qui résulte du rapprochement des deux dérivés de ce terme unique prasâda. (Bkah-hgyur, sect. Mdo, vol. ha ou XXIX, f. 68 b.) Ne semblerait-il pas que le traducteur tibétain a dérivé prasâdanîya de prasâdana, « l’action de témoigner sa faveur ? » mais cette dérivation me paraît moins régulière que celle qui tire prasâdanîya de la forme causale de pra-sad.

  1. Svâgata, dans Divya avad., f. 89 a. Le texte joue ici sur le terme de Svâgata, « le bienvenu, » qui est le nom du héros de la légende, en le changeant en celui de Durâgata, « le malvenu, » nom qu’on lui donne fréquemment dans le cours du récit, chaque fois qu’il lui arrive de faire partager son infortune à ceux au milieu desquels il se rencontre. Le terme que je traduis par misérable mendiant, est krôḍamallaka ; je ne trouve pas d’autre sens pour ce composé que celui de « qui porte une besace au côté, » de krôḍa (flanc) et malla, qui dans le sanscrit de Ceylan signifie sac, besace (Clough, Singh. Dict., t. II, p. 524, col. I), ou encore du sanscrit mallaka (pot, vase). Les sens les plus ordinaires de porc (krôḍa) et lutteur (malla) ne m’ont pas fourni de traduction satisfaisante. Dans une autre légende de l’Avadâna çataka, celle de Bhadrika, ce terme est écrit kôṭṭamallika (f. 216 a), ce qui signifie peut-être mendiant de ville. Le tibétain le traduit par sprang-bo (mendiant). Cette version, sans nous donner le sens de krôḍa, justifie mon interprétation. (Mdo, vol. ha ou XXIX, f. 363 b.)
  2. Davy, Account of the inter. of Ceylon, p. 131, et Forbes, Elev. years in Ceylon, t. I, p. 75, note.
  3. Djyôtichka, dans Divya avad., f. 140 b.