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INTRODUCTION À L’HISTOIRE


de la doctrine nouvelle se représente à chaque instant dans les Sûtras et dans les légendes. Une des histoires tibétaines traduites en allemand par M. Schmidt, mais primitivement composées sur des originaux sanscrits, nous montre un Dieu qui aspire à se faire Religieux buddhiste, et qui se plaint que sa condition élevée lui rende difficile l’accomplissement de ses désirs. « Je veux me faire Religieux, dit-il, et pratiquer la sainte doctrine ; mais il est difficile d’embrasser la vie religieuse, si l’on renaît dans une race élevée et illustre ; cela est facile, au contraire, quand on est d’une pauvre et basse extraction[1]. »

Une grande et soudaine infortune est souvent aussi, pour celui qui l’éprouve, un motif décisif de quitter le monde et de se faire Religieux buddhiste. Quand le jeune Kâla, frère de Prasênadjit, roi du Kôçala, est mutilé par ordre du roi, et qu’il est guéri miraculeusement par Ânanda, il se retire dans l’ermitage de Bhagavat et se destine à le servir[2]. Nous possédons une légende consacrée tout entière au récit des malheurs de Svâgata, le fils d’un marchand, lequel, après être tombé au dernier degré de l’abaissement et de la misère, se convertit au Buddhisme en présence de Çâkyamuni[3]. La facilité avec laquelle ce dernier admettait au nombre de ses disciples les hommes repoussés par les premières classes de la société indienne était, de la part des Brâhmanes et des autres ascètes, un sujet fréquent de reproches ; et on voit, dans la légende même qui vient d’être citée, les Tîrthyas se moquer amèrement de Bhagavat, au sujet de la conversion de Svâgata. Mais Çâkya se contente de répondre : « Samantaprâsâdikam mê çâsanam. « Ma loi est une loi de grâce pour tous[4] ; et qu’est-ce qu’une loi de grâce pour tous ? C’est la loi sous laquelle

  1. Der Weise und der Thor, p. 40 et 41, trad. allemande.
  2. Prâtihârya, dans Divya avad., f. 75 b.
  3. Svâgata, ibid., f. 88 b.
  4. Je crois pouvoir traduire par grâce le mot prasâda, parce que l’idée de grâce est celle qui répond le mieux à l’un des emplois les plus ordinaires du sanscrit prasâda et de ses dérivés. Ce terme signifie en général : faveur, bienveillance, approbation ; les Tibétains le rendent d’ordinaire par un mot qui veut dire foi. Je n’aurais pas hésité à conserver cette interprétation, si elle ne laissait pas dans l’ombre le sens très-remarquable que j’assigne, d’après un grand nombre de textes, à prasâda. Les livres buddhiques ont d’ailleurs, pour exprimer l’idée de foi, un mot propre, celui de çraddâ. Le terme de prasâda me paraît avoir une double acception, suivant le sujet auquel il s’applique. Absolument parlant, il signifie la bienveillance, la faveur. Relativement et considéré dans les hommes qui viennent à rencontrer le Buddha, prasâda exprime ce sentiment de bienveillance qu’ils éprouvent pour lui ; dans ce cas, il me paraît nécessaire de conserver le mot de bienveillance ; car ce n’est pas encore la foi, ce n’en est que le commencement. Envisagé dans le Buddha, prasâda est la faveur avec laquelle il accueille ceux qui viennent à lui, et de là vient que le Buddha est appelé prâsâdika, « gracieux, favorable. » La formule remarquable qui a donné lieu à cette note devrait donc se traduire ainsi : « Ma foi est favorable, gracieuse pour tous, » ce qui est exactement le sens que donne ma version. Cette acception spéciale du mot