Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/217

Cette page a été validée par deux contributeurs.
175
DU BUDDHISME INDIEN.


au double exercice spirituel qui doit lui donner la science de la Loi, savoir la méditation et la lecture[1]. Une conversion de ce genre est parfaitement naturelle, et il paraît qu’il a toujours été plus facile dans l’Inde d’embrasser le rôle commode et indépendant de l’ascète que de rester dans la société, où le joug pesant de la caste enchaîne l’homme pendant tous les instants de sa vie. Aussi regardé-je l’aveu de la légende comme très-précieux pour l’histoire des premiers temps du Buddhisme ; il est avéré pour nous que la doctrine de Çâkya était devenue, probablement assez vite, une sorte de dévotion aisée qui recrutait parmi ceux qu’effrayaient les difficultés de la science brâhmanique.

En même temps que le Buddhisme attirait à lui les Brahmanes ignorants, il accueillait avec un empressement égal les pauvres et les malheureux de toutes les conditions. La curieuse légende de Pûrṇa, dont il sera question plus bas, en fournit un exemple. Pûrṇa, fils d’un marchand et d’une esclave, revenait de son septième voyage sur mer ; il avait amassé des richesses immenses, et son frère aîné, voulant l’établir, lui parle ainsi : « Mon frère, indique-moi un homme riche ou un marchand dont je puisse demander la fille, pour toi. Pûrṇa lui répond : Je ne désire pas le bonheur des sens ; mais si tu me donnes ton autorisation, j’embrasserai la vie religieuse. Comment ? reprend son frère, quand nous n’avions à la maison aucun moyen d’existence, tu n’as pas songé à embrasser la vie religieuse ; pourquoi y entrerais-tu aujourd’hui[2] ? » Il était donc admis que les pauvres et ceux qui n’avaient aucun moyen d’existence pouvaient se faire mendiants, et le Buddhisme, pour augmenter le nombre de ses adeptes, n’avait qu’à profiter de cette disposition des esprits. Voici encore une autre preuve de ce fait. Un ascète de la caste brâhmanique, expliquant à sa manière la prédiction qu’avait faite Çâkya sur un enfant qui n’était pas encore né, s’exprime ainsi : « Quand Gâutama l’a dit : L’enfant embrassera la vie religieuse sous ma loi, il a dit vrai ; car quand ton fils n’aura plus ni de quoi manger, ni de quoi se vêtir, il ira auprès du Çramaṇa Gâutama pour se faire mendiant[3]. » Ce passage ne nous rappelle-t-il pas le joueur malheureux de la comédie indienne qui, dégoûté du jeu par la mauvaise fortune qui le poursuit, se décide à renoncer au monde pour se faire Religieux buddhiste, et qui s’écrie : « Alors je marcherai tête levée sur la grande route[4] ? » Cette sorte de prédestination des pauvres à l’adoption

  1. Tchûḍa pakcha, dans Divya avadâna, f. 277 a.
  2. Pûrṇa, dans Divya avadâna, f. 17 b.
  3. Djyôtichka, ibid., f. 13 a.
  4. Mrĭtch tchhakaṭî, acte II, p. 83 du texte de Calcutta. Wilson, Hindu Theatre, t. I, p. 56.