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XVI
NOTICE SUR LES TRAVAUX DE M. EUGÈNE BURNOUF.

proportions inégales, tous les idiômes de la famille sanscritique, le sanscrit lui-même, le grec, le latin, le germain, etc. Mais ce n’était point assez que de comprendre vaguement le texte comme Anquetil et les Parses le comprenaient ; il fallait déterminer la forme et la valeur grammaticales de chaque mot en particulier et reconstruire la proposition. À ce premier travail, il fallait enjoindre un second plus épineux encore : c’était, en dépouillant chaque mot de ses désinences formatives et suffixes, de le réduire à son radical, et une fois maître de ce radical, en préciser le sens, en le demandant soit aux racines sanscrites, qui le donnaient dans la plupart des cas, soit au grec, au latin, aux idiomes germaniques, etc., selon les besoins de chaque cas spécial. La presque totalité des radicaux zends ont dû céder à cette analyse, qu’on peut appeler incomparable, qu’ils se trouvassent dans le sanscrit védique exclusivement, ou simplement dans les listes des racines notées par les grammairiens, quoique sans usage, ou dans toute la famille sanscritique, ou enfin dans le persan moderne. Un très-petit nombre de radicaux ont résisté ; mais M. Eugène Burnouf a pris pour les vaincre un procédé bien plus délicat qu’aucun de ceux que je viens de rappeler. Grâce aux lois de la permutation des lettres qu’il avait constatées entre un grand nombre de mots zends et sanscrits, il a pu ramener ces radicaux réfractaires aux formes connues sous lesquelles ils se présentent dans d’autres idiomes.

C’est ainsi que la langue zende a été reconstituée par lui de toutes pièces. Mais quelle science, quels travaux, quelle méthode ne supposent point des tours de force de ce genre en philologie ! quelle sagacité infaillible, quelle mémoire imperturbable, quelle persévérance invincible ! Pour arriver à ce prodigieux résultat, M. Eugène Burnouf s’était créé des instruments personnels dont ceux-là seuls connaissent bien toute la difficulté et toute la puissance qui ont été initiés à ces labeurs secrets. Dès 1829, il avait fait autographier à ses frais[1] et publié le texte du Vendidad-Sadé, en un volume in-folio ; puis il s’était construit [des index composant plusieurs volumes in-folio de tous les mots du Vendidad-Sadé, des Ieschts et Néaeschs, du

    a fait sa traduction sanscrite du Yaçna sur un livre pehlvi ; et voici les mots dont il se sert : idam idjisnidjamdapoustakam..... pahalavîdjamdât (*).

    M. Eugène Burnouf, tout en retrouvant dans les mots Djamda et Djamdât la transcription dévanagarie du mot zend, ne donne à ce mot que le sens de livre « qu’il a dans plusieurs auteurs orientaux ; » et il ne lui accorde pas le sens spécial que lui attribue Anquetil-Duperron. Il se proposait de discuter ce point important dans une dissertation spéciale (voir la note de la page xvi, avant-propos du Yaçna) qui devait être toute prête dès cette époque, 1833, si l’on en juge par la manière dont il l’annonce ; cette dissertation n’a point paru. On comprend, d’ailleurs, que ce dissentiment entre M. Eugène Burnouf et Anquetil-Duperron, bien qu’il porte sur un point très-curieux, ne touche pas au fond des choses. Nous n’en connaissons pas moins les livres de Zoroastre, quel que soit le nom de la langue dans laquelle ils sont composés.

    (*) Ce volume, nommé le livre Idjisni (Izeschné, yaçna), a été traduit du livre Pahalavî (Pehlvi).

  1. Les neuf premières livraisons ont paru aux frais personnels de M. Burnouf ; la dixième et dernière, qui n’a paru que beaucoup plus tard, en 1843, a été publiée aux frais de M. Dumont, de la bibliothèque de l’Institut.