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DU BUDDHISME INDIEN.

douter, le sens de ces immolations volontaires qui se consomment encore de nos jours sous le char de Djagannâtha. Les légendes buddhiques où j’en trouve des exemples se rapportent, il est vrai, à des époques tout à fait mythologiques ; et il est permis de supposer qu’on ne les a placés dans ces temps lointains que parce qu’il eût été difficile d’en rencontrer de pareils pendant les premiers siècles de l’établissement du Buddhisme. Cependant, quoi qu’il puisse être des faits en eux-mêmes, la tendance des légendes de ce genre n’en est pas moins identique avec celle des idées qui poussent de fanatiques sectaires a se torturer et à se tuer pour Vichnu le bienveillant, ou pour l’implacable Dêvi. Dans nos légendes, le but est différent ; il faut même le dire, cette différence est tout entière à l’avantage des Buddhistes, puisque le sacrifice que s’impose l’ascète est toujours dans l’intérêt de l’humanité tout entière[1]. Mais cette différence pouvait aisément disparaître aux yeux du peuple devant l’identité de l’esprit et des moyens ; et le zèle avec lequel les Religieux buddhistes exaltaient de semblables sacrifices suffisait pour leur faire partager avec les autres ascètes qui les pratiquaient aussi les respects de la multitude.

Ce qui semble appuyer cette supposition, c’est la nature des reproches que, suivant nos Sûtras, les Brâhmanes adressaient à Çâkyamuni et à ses disciples. Je sais que ces reproches sont rapportés par des Buddhistes, qui ont pu choisir entre ceux auxquels il leur était le plus facile de répondre, tandis qu’ils ont dû taire les objections purement philosophiques, objections bien autrement graves, que les commentateurs des systèmes brâhmaniques du Sâmkhya et du Nyâya font aux sectateurs de Çâkyamuni. Mais, je le répète encore, il est ici question des légendes relatives aux premières prédications de Çâkya, et non d’un système arrêté qui se défend avec des armes semblables à celles par lesquelles on l’attaque. Aussi, quand même les rédacteurs des Sûtras auraient à dessein passé sous silence la polémique dont les opinions de Çâkyamuni doivent avoir été l’objet de la part des Brâhmanes, les reproches moins sérieux qu’ils mettent dans la bouche de leurs adversaires peuvent toujours leur avoir été faits, quelque peu philosophique qu’en soit le motif.

Un des griefs qui animaient d’ordinaire la caste brâhmanique contre les Buddhistes, c’est que ces derniers, livrés comme elle à la vie ascétique, et se signalant aux respects du peuple par la régularité de leur conduite, enlevaient aux Religieux des autres sectes une partie des hommages et des profits qui leur revenaient auparavant. Nous verrons tout à l’heure six Brâhmanes, qui voulaient essayer leur puissance surnaturelle contre celle de Çâkya, se plaindre hautement

  1. Cette distinction n’a pas échappé à M. Benfey. (Indien, p. 199, col. 2.)